Ce n’est pas seulement l’or qui rend attractive la région de Kédougou, mais aussi son immense potentiel agricole. Non seulement, elle bénéficie de quatre mois d’hivernage à partir de juin, mais une infrastructure majeure va bientôt y valoriser un potentiel de 40.000 hectares : le barrage de Sambangalou.
Vendredi dernier, l’infobésité a quelque peu caché une nouvelle dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle nous fait voir autrement le Sud-Est du Sénégal. Le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, a réceptionné ce jour à Kaolack le matériel destiné au démarrage effectif des travaux du barrage, situé à 25 km de Kédougou, en territoire guinéen. Occasion aussi de donner le départ du convoi chargé d’acheminer ces équipements sur le site du chantier. Ce barrage constitue la deuxième composante du projet énergie de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (Omvg). C’est une initiative impliquant les quatre pays membres de l’organisation : le Sénégal, la Guinée, la Gambie et la Guinée-Bissau.
Dans sa composante « hydroélectricité », le barrage devrait, une fois achevé, disposer d’une puissance installée de 128 MW, avec une production estimée entre 394,3 et 402 GWh/an. Dans sa partie « irrigation », il touchera 90.000 hectares de terres agricoles, réparties principalement entre la Gambie (50.000 ha) et le Sénégal (40.000 ha). Que ce matériel soit réceptionné au port de Kaolack n’est pas anodin. Les avantages de disposer de cette infrastructure au Centre du pays apparaissent au grand jour quand on voit les économies de coût (transport) et de temps qu’elle permet, et son impact sur la renaissance d’une région pas encore remise du déplacement progressif du bassin arachidier vers le sud et l’est. 40.000 hectares de terres arables avons-nous écrit. Mais au-delà des chiffres, c’est un changement de paradigme que pourrait incarner le barrage de Sambangalou.
Car ailleurs sur le continent, de telles infrastructures ont souvent marqué un tournant pour l’agriculture. L’exemple du barrage de Bagré au Burkina Faso est éloquent : à l’origine construit pour produire de l’électricité, il a rapidement révélé un potentiel bien plus vaste, devenant un levier pour l’agriculture irriguée. Aujourd’hui, des milliers d’hectares autour du réservoir sont mis en valeur, avec une diversité de cultures allant du riz au maraîchage, soutenues par un système d’irrigation fiable et maîtrisé. Il a même favorisé l’essor d’un pôle agro-industriel, contribuant à la sécurité alimentaire et à la création d’emplois pour les jeunes. En Éthiopie, c’est également un barrage, celui de Koga, dans la région d’Amhara, qui a permis de tripler les rendements agricoles en irriguant plus de 7.000 hectares et en réduisant la dépendance au seul cycle pluvial.
Les exemples foisonnent. L’impact d’un barrage dépasse la simple fourniture d’électricité. Sambangalou pourrait effectivement transformer la région de Kédougou, permettre de proposer une alternative aux mines et donner vie aux ambitions agricoles de ce terroir. Lors de la campagne électorale pour la présidentielle de 1988, un opposant, qui sera président de la République 12 ans plus tard, promettait d’installer des maïseries dans le pays. 37 ans plus tard, ces propos reviennent en échos. En effet, si le prix de l’aliment pour le bétail et la volaille est encore élevé, c’est en partie parce que nos industries importent le principal des 500.000 tonnes de maïs que le Sénégal achète à l’Argentine et au Brésil chaque année.
Or, les départements de Kédougou et de Saraya abritent les conditions favorables à la culture de cette céréale. On pourrait en dire autant du soja, de la luzerne, du blé, ces spéculations qui nous paraissent si lointaines mais si nécessaires… A-t-on le choix ? Dans un proche horizon, le Sénégal sera pratiquement dans l’impossibilité de vivre dans la dépendance structurelle des marchés extérieurs, des cours volatils du riz importé, des engrais subventionnés à coups de milliards sans retour durable. L’Agenda Sénégal 2050 en fait une stratégie : faire de l’agriculture le socle de la souveraineté nationale.
Il ne s’agirait plus de spéculer sur les exportations d’arachide ou d’igname, mais de sécuriser le droit fondamental à l’alimentation, par une politique assumée de relocalisation des filières, d’irrigation intelligente, de mécanisation progressive et d’agroécologie comme on le voit de plus en plus dans le pays. Si les conditions d’accompagnement sont réunies – accès au foncier, formation des producteurs, structuration des marchés –, le bassin du fleuve Gambie dans le Sud-Est pourrait devenir une nouvelle ceinture verte du Sénégal. samboudian.kamara@lesoleil.sn