L’ancien président français avait tort. Dans une diatribe devenue tristement célèbre, il fustigeait en 2007 le paysan africain, prétendument incapable de s’adapter au monde moderne, prisonnier d’un cycle immuable rythmé par les saisons.
Sarkozy déclarait : « Le paysan africain qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps, rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » Ce descriptif n’est pas seulement condescendant, il s’illustre par une fausse méconnaissance de la réalité. Prenons l’exemple du projet d’implantation d’une centrale solaire à Tambacounda, une initiative qui apporte des évolutions sur les usages agricoles mais aussi sur des représentations sociales.
Ce projet, porté par l’entreprise Serengeti Energy Tamba Solaire, prévoit une production de 56,7 mégawatts, accompagnée de 15 mégawatts – 45 mégawattheures de stockage par batterie. Vingt-neuf paysans, reconnus comme personnes affectées par le projet (Pap), ont été indemnisés selon les normes internationales. La société exploitante leur a versé un total de 476 millions de FCfa pour compenser la perte de terres où va s’implanter la centrale solaire, et des productions agricoles. Au-delà de cette indemnisation, des mesures d’accompagnement spécifiques ont été prévues. Il s’agit de 2,5 millions FCfa pour soutenir cinq personnes vulnérables ; 80 millions FCfa pour les éleveurs ; 35 millions FCfa pour les projets portés par des femmes et des jeunes ; et 40 millions FCfa pour la restauration des moyens de subsistance des Pap.
Ces chiffres, vertigineux pour des personnes habituées à vivre avec des ressources modestes, traduisent une mutation profonde : la fin d’un monde familier, l’émergence d’un nouveau. Et les paysans, loin de rester figés, se réinventent. Pour faire face à cette nouvelle réalité, ils ont mobilisé une intelligence sociale remarquable. Une intelligence qui ne s’enseigne pas dans les amphithéâtres des grandes écoles, mais qui se manifeste dans l’adaptation, la résilience et la projection vers l’avenir. Ils ont mis en place, ce qui fait défaut parfois dans nos entreprises familiales, un système d’investissement productif. Ainsi, l’un d’eux témoigne en expliquant que grâce à cette nouvelle donne, il peut désormais exercer une activité en dehors de la saison des pluies. Une bonne gestion de son pécule lui a permis d’acheter un tricycle, dont l’exploitation, dès le premier mois, a rapporté 100.000 FCfa.
Un autre a investi dans un cheptel d’une centaine d’agneaux. Une femme, affectée par la perte de ses terres, envisage désormais sa vie autrement, avec une lucidité et une détermination admirables en devenant une auto-entrepreneuse. Ces cas sont loin d’être isolés. Ce sont des initiatives qui contredisent, par leurs actes, les propos de Sarkozy, selon qui : « Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne, mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable, où tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. »
Les paysans africains n’ont jamais manqué d’inventivité pour prendre en main leur destin, même si les moyens faisaient parfois défaut. À l’inverse, les paysans européens, notamment en France, bénéficient d’un soutien substantiel. Selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), en 2021, 94 % des exploitations agricoles françaises percevaient au moins une subvention d’exploitation.
En moyenne, ces aides représentaient 38 % de leur excédent brut d’exploitation (Ebe), un indicateur financier permettant d’évaluer la rentabilité économique générée par l’activité d’une entreprise. Maïmouna, Souleymane et les autres paysans ont bel et bien inventé leur destin. Ils ont défié les stéréotypes issus de l’imaginaire bouché d’un prétendu penseur des quartiers feutrés de Neuilly, banlieue bourgeoise de Paris. Ils ont prouvé que l’aventure humaine et le progrès se vivent aussi, et peut-être surtout, dans les villages de Tambacounda, du Saloum, de Casamance, du Baol, du Fouta… moussa.diop@lesoleil.sn