Des tas de gravats, des déchets de ressources halieutiques, rives transformées en dépotoirs d’ordures, fonds marins pollués… La mer souffre au Sénégal et ses « enfants », entendez les pêcheurs, qui n’ont que son eau pour survivre, ne font rien pour l’entretenir. Au contraire. Jadis cadre florissant où des milliers de Sénégalais, en quête de pitance, trouvaient leurs comptes, cette masse d’eau est devenue un endroit de désillusions (émigration irrégulière, destruction liée à l’avancée de la mer, poissons quasi-introuvables…).
Aujourd’hui, cette mer lutte pour un environnement plus reluisant. Et ses usagers ne sont pas exempts de reproches. Lors d’une campagne de nettoiement, du 29 avril au 5 mai 2023, la Direction de la gestion et de l’exploitation des fonds marins, sur trois sites à savoir Hann, Thiaroye et Mbao, a sorti 30 tonnes de déchets de l’océan. C’est de notoriété publique que les pêcheurs jettent leurs déchets dans l’eau salée. C’est aussi un secret de polichinelle que les populations riveraines déversent leurs ordures sur les plages. Ajoutez-y les eaux usées des canaux, on aura un cocktail de pollution à grande échelle qui dégrade l’océan et fait fuir ses résidents.
Avec une production annuelle en 2019 de 566 693 tonnes, dont 80% provenant de la pêche artisanale pour une valeur commerciale de 263 milliards de FCfa et des exportations qui ont atteint 294 milliards, la pêche contribue à hauteur de 3,2% au Pib national et 12% au Pib du secteur primaire, selon la Direction des pêches maritimes. Ce secteur joue un rôle clé dans la nutrition et la sécurité alimentaire avec une contribution de 70% aux apports en protéines d’origine animale. Mais au Sénégal, l’environnement marin ne semble pas être une priorité pour les acteurs. Par conséquent, la raréfaction des ressources halieutiques prend de plus en plus de l’ampleur. Les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie attestent une baisse des débarquements annuels entre 2020 et 2023. Raison pour laquelle les pêcheurs défient les eaux de la Mauritanie au prix de leur vie. D’autres se procurent des licences moyennant de fortes sommes d’argent. En Guinée-Bissau, les piroguiers sénégalais achètent une licence à 1,3 million de FCfa !
Du reste, la mer perd de son lustre d’antan, car les pêcheurs sont divisés dans l’utilisation d’engins comme le mono-filament, un désastre pour l’environnement marin. L’usage se fait partout sauf à Yoff et Cayar malgré l’interdiction du Code de la pêche. Ont-ils conscience de la destruction de leur mer nourricière ? Certains acteurs n’en ont cure même si l’État est déterminé à appliquer la loi.
Par ailleurs, après cinq jours de délibérations à Nice, la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (du 9 au 13 juin) a conclu ses travaux par l’adoption par consensus de sa déclaration politique, intitulée « Notre océan, notre avenir : unis pour une action urgente ». Au Sénégal, la mer qui a nourri tant de générations vit des heures difficiles, doux euphémisme pour exprimer l’état de déliquescence de cette masse d’eau. S’occuper de la mer, c’est tenter de préserver les écosystèmes naturels. Car, un cadre de vie sain aura forcément des impacts socio-économiques. Il y va de la santé de la pêche, une activité qui, d’après les chiffres officiels, crée 600.000 emplois et indirects. Et même plus, selon Dr Fatou Diouf, ministre des Pêches, des infrastructures maritimes et portuaires.
Sauvegarder l’environnement marin, c’est aussi prendre des mesures urgentes contre le dépôt de gravats le long du littoral. De la Corniche ouest en passant par Diamalaye, Yoff et la bande des filaos, les pierres jonchent le sol et la plage perd des mètres. Dans un reportage réalisé en février dernier, « Le Soleil » pointait du doigt ces pratiques qui ont pignon sur rue dans nos plages. Madeleine Diouf Sarr, directrice du Changement climatique, de la transition écologique et des financements verts, interpellée, avait déclaré que le ministère allait déclencher une mission pour combattre ces actes. Jusque-là, rien n’a été fait.
Ainsi, sur la Grande côte dakaroise, le taux d’érosion moyenne annuel est de 1 à 1,5 m/an, selon la division Gestion du littoral au ministère de l’Environnement et de la Transition écologique. Pour lutter contre l’érosion de la côte, l’État du Sénégal s’appuie sur la Stratégie de gestion intégrée des zones côtières comme document de base. De plus, le ministère de l’Environnement dispose du Plan national d’adaptation des zones côtières. En attendant, derrière les vagues qui viennent lécher la berge de l’Atlantique, se cache une situation qui risque de compromettre l’avenir de populations côtières. Voilà pourquoi il faut sauver notre mer nourricière.
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