Nos sociétés sont en train de connaître des mutations profondes. Tenez, le Magazine américain « The Atlantic » vient de publier une étude le 31 mars 2025 sur l’hypogamie. En ethnologie et en sociologie, ce terme indique le fait de se marier avec une personne d’un « statut social dit inférieur ». Selon l’étude, la tendance actuelle est que les femmes hétéros sont de plus en plus susceptibles d’épouser des hommes moins diplômés qu’elles. Pourtant, c’était l’inverse, il y a quelques décennies. Car, depuis fort longtemps, c’est l’hypergamie (le fait d’avoir un conjoint dont le niveau social est plus élevé) qui avait cours. Analysant le phénomène de l’hypogamie, le Professeur de sociologie à l’université du Wisconsin à Madison, Christine Schwartz, souligne qu’« en 2020, les époux américains partageaient le même niveau d’éducation dans 44,5 % des mariages hétérosexuels, contre plus de 47 % au début des années 2000. Non seulement le seuil des 50 % s’éloigne donc peu à peu, mais, surtout, parmi ces mariages mixtes sur le plan éducatif, la majorité (62 %) seraient aujourd’hui hypogames (du point de vue des femmes), contre 39 % en 1980 ». Et ce revirement « n’est pas propre aux États-Unis ; il est de plus en plus courant dans le monde entier », précise « The Atlantic ».
L’économiste Benjamin Goldman de l’Université Cornell confirme cette évolution : « parmi les Américains nés en 1930, à peine 2,3 % des mariages unissaient une femme diplômée d’université à un homme sans diplôme équivalent. Pour la génération née en 1980, ce chiffre a plus que quadruplé, atteignant 9,6 % ». Expliquant les causes, l’article de « The Atlantic » montre que si les femmes épousent effectivement des hommes moins « instruits » qu’elles, ce n’est pas une question de demande mais d’offre. Et pour cause. « En 2021, on trouvait sur les bancs des facs américaines 1,6 million de femmes de plus que d’hommes », rappelle Clara Chambers, chercheuse associée à l’université Yale à New Haven (Connecticut). Le taux de mariage chez ces femmes diplômées restant globalement stable. Cela signifie qu’une grande partie d’entre elles « se tournent vers des hommes sans diplôme faute d’un nombre suffisant d’hommes dans leurs propres milieux », résume l’économiste. Le phénomène est tel qu’en France, Bouchet-Valat de l’Institut national d’études démographiques (Ined), Observatoire sociologique du changement (Osc-Sciences Po & Cnrs) et Laboratoire de sociologie quantitative (Lsq-Crest) n’hésite pas à parler de « disparition, voire l’inexistence de la norme d’hypergamie féminine en termes de diplôme ». Qui du Sénégal ? Dans notre pays, même si on ne trouve pas d’étude spécifique sur la question de l’hypogamie (du moins à notre connaissance), force est de reconnaître que dans notre société, l’hypergamie est plus fréquente que l’hypogamie. Notamment dans la société wolof. « L’hypergamie est fréquente dans la société wolof et presque inexistante dans les sociétés au Sud du pays », nous confie le Pr Moustapha Tamba, sociologue. Dans une étude qu’il a menée en 1999 intitulée « Le choix du conjoint à Dakar » et publiée dans les Annales de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Ucad, le Pr Tamba dit relever des mariages à proximité parentale ou géographique ou clanique. À l’en croire, si l’hypogamie existe, son degré est moindre. « L’hypogamie existe plus du côté des hommes. Mais pour les femmes, c’est le contraire », fait-il remarquer. En effet, a-t-il soutenu, il n’est pas rare de voir les familles s’enquérir fréquemment du statut social de l’homme : riche ou pauvre ; casté ou pas, sa lignée… Des situations qui peuvent même parfois entraîner le refus du mariage. Certainement qu’au rythme des mutations profondes qui s’opèrent, un changement sera possible au Sénégal.
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