Les dernières statistiques couplées aux perceptions globales sur l’état de l’économie trahissent un paradoxe. Beaucoup de ministres africains de l’Économie et des Finances auraient sans doute aimé afficher sur leur tableau de bord les performances du Sénégal : une croissance de 11,6% en fin 2024, la production de pétrole et de gaz, des cours de l’or qui s’envolent et le dollar en baisse depuis le lancement de la guerre commerciale de Donald Trump, beaucoup de prix à la consommation en recul.
Par contre, ils auraient moins apprécié les chiffres de la dette (à près de 100% du budget au lieu 74%), le déficit budgétaire de 12% contre 4% comme précédemment annoncé, l’état du secteur du Btp (pris dans les rets de la régulation du foncier et de l’arrêt de plusieurs chantiers). Un an après l’alternance au sommet de l’État et le virage vers « l’économie souveraine et solidaire », nous traversons une transition qui ne se donne pas à lire aisément. Une difficulté à déchiffrer renforcée par les échos d’un jeu politique toujours vampirisé par les rancœurs nées de la crise pré-électorale (2021-2024), un jeu politique en situation classique d’un nouveau pouvoir face à une néo-opposition, avec tout ce que cela comporte comme nouveau paradigme de gouvernance, prise de contrôle de l’administration, audits et reddition des comptes, réécriture de l’histoire et, surtout, nouvelle empreinte.
C’est la règle. Mais comme souvent depuis des décennies, il y a actuellement un décalage entre les enjeux économiques et leur rendu au plan politique. De sorte que l’on ne met pas assez l’accent sur nos atouts ; la vulgate dans les médias et sur les réseaux sociaux étant éloignée de ce que l’on a sous la main, ces bons points qui seraient une base pour asseoir le débat sur la relance de l’économie. Ce contraste souligne la nécessité d’un discours capable de faire valoir nos véritables atouts – industrialisation naissante, stabilité monétaire et production énergétique – tout en adressant résolument nos points de vulnérabilité. En février 2025, la production industrielle hors égrenage de coton se relève de 19,4% relativement à celle de la même période en 2024, lit-on dans le dernier bulletin de l’Ansd. Cette évolution est imputable au bond des industries extractives (+60,8%), dû principalement à la prise en compte du démarrage de l’extraction de pétrole au Sénégal. La production est lancée sur les champs de Sangomar (pétrole) et de Grand Tortue Ahmeyim (gaz).
À Sangomar, 25 millions de barils ont été expédiés en 9 mois, soit un rythme de plus de 90.000 barils par jour. Le 17 avril dernier, British Petroleum a annoncé le chargement d’un premier navire de gaz naturel liquéfié issu de Grand Tortue Ahmeyim, le bloc à cheval sur la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie. Toujours dans le secteur extractif, les mines d’or de Sabodala-Massawa et Mako profitent des prix records du métal jaune. On trouve là les raisons de notre croissance à deux chiffres. Sur un autre registre, en mars 2025, les prix à la consommation ont reculé de 0,2 % sur un an, marquant une baisse après deux mois d’inflation. Depuis la flambée de 2021-2022, la valse des prix semble avoir cessé. La surchauffe habituelle lors des fêtes n’a pas eu lieu lors de la dernière Korité ; certains prix ont même connu de fortes baisses comme les céréales (blé, riz notamment) et le sucre. D’autres sont encore sous tension, par exemple les huiles végétales et les produits laitiers. La perception d’une fin de cycle d’inflation est-elle partagée ? Rien n’est moins sûr.
Elle ne saurait l’être du reste alors que les Sénégalais (re) découvrent l’ampleur de la prévarication des ressources publiques avec les premières révélations sur le fonds Force Covid-19. Au‑delà des simples chiffres macroéconomiques, c’est bien la question de la confiance (et de manière parallèle, la répression de ce type de délits) qui se pose désormais. À mesure que remontent à la surface les affaires de détournements de deniers publics, la perception d’un État protecteur et vecteur de prospérité s’en trouve ébranlée. S’il n’y a plus d’enrichissement illicite, si l’argent public est préservé, ce ne serait pas quelque chose de gagné, mais le début du changement… samboudian.kamara@lesoleil.sn