Cette année encore, les acteurs de la filière anacarde ont lancé un Sos à l’État pour la survie de leur activité menacée de toutes parts. Heureusement que leur cri de détresse est bien tombé dans l’oreille de la plus haute autorité. Lors de la réunion du Conseil des ministres du 21 mai dernier, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a donné des instructions pour un « repositionnement stratégique » de la filière dans l’économie sénégalaise, particulièrement dans la région naturelle de Casamance.
Autre demande présidentielle : renforcer les initiatives privées de transformation in situ de la production locale, un préalable pour repositionner la filière anacarde dans la stratégie nationale d’industrialisation. Les instructions présidentielles arrivent dans un contexte où les transformateurs craignent de ne pas pouvoir disposer de leur matière première dont une bonne quantité prend le chemin des exportations, principalement vers l’Inde et le Vietnam. C’est à croire que le Sénégal produisait, jusqu’ici, pour le marché extérieur, notre pays exportant près de 95 % de sa production d’anacarde, au grand dam de l’industrie de transformation locale qui réussit à traiter juste près de 3 %.
L’heure est venue d’écouter et de satisfaire les doléances des acteurs de la filière. Ces transformateurs ne réclament ni plus ni moins qu’un stock de sécurité de 7.000 à 10.000 tonnes sur les 200.000 tonnes attendues pour la campagne 2025 au prix accessible (entre 450 et 650 FCfa le kilogramme), inférieur donc aux cours du marché qui peuvent osciller entre 700 et 725 (lors de la campagne de 2024, le kilogramme en est arrivé à coûter 1.000 FCfa). En imposant une taxe à l’exportation à hauteur de 32 FCfa le kilogramme (les transformateurs, eux, réclamaient un prélèvement de 52 FCfa), le gouvernement espère stopper la saignée et assurer l’approvisionnement de nos fragiles entreprises. Car l’anacarde sénégalais est très prisé sur le marché international, son rendement moyen en amande de cajou étant de 25 % contre 20 % pour celui de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial.
La saison 2024 a été cauchemardesque pour les transformateurs du fait de la flambée des prix mondiaux de la noix de cajou brut, des mauvaises récoltes mais aussi du manque de protection de ces acteurs dont certains étaient obligés de cesser toute activité, envoyant leurs employés au chômage. Les exportations des matières premières et la faible transformation sont les principaux handicaps des économies des pays en développement qui se privent eux-mêmes de la valeur ajoutée de leurs produits. Alors qu’en impulsant la transformation locale, la valeur ajoutée de la noix de cajou peut passer de 700 FCfa le kilogramme à 10.000 FCfa. Vendre une tonne de noix brute peut rapporter près de 700.000 FCfa, mais ce montant, selon des acteurs, peut doubler à 1,4 million de FCfa si la même quantité est transformée.
Le business de l’anacarde ne se limite pas seulement à la noix consommée comme apéritif, il existe un large éventail de produits dérivés de la noix ou de la pomme (lait de cajou, fromage de cajou, pâte de cajou, viande végétale, etc.). « Nous ne pouvons plus continuer à exporter de la matière première sans en tirer le moindre avantage industriel », a martelé le ministre de l’Industrie et du Commerce, mardi dernier à Ziguinchor, lors du lancement de la campagne de commercialisation. Il est évident que l’avenir de cette filière à fort potentiel passe par la transformation, qui suppose une accessibilité du produit. Il est donc temps de mettre la filière sur une bonne trajectoire. L’ambition affichée du ministre Serigne Guèye Diop : transformer au moins 50 % de la production d’ici cinq ans.
Réalisable si les préalables sont respectés. La filière souffre de plusieurs maux qui ont pour noms manque de financement, équipements industriels souvent désuets, défaut d’organisation de la collecte des noix, exploitation traditionnelle, plantations rattrapées par le poids de l’âge donc faible productivité, production en dents-de-scie, etc. Si ces problèmes sont résolus, le Sénégal pourra maîtriser la chaîne de valeur anacarde et créer des emplois et de la richesse. Face à ces maux, M. Diop annonce des mesures qui pourraient se révéler salvatrices, notamment une fenêtre pour permettre à l’industrie locale de bien s’approvisionner, un fonds spécial d’appui à la filière, l’encadrement du transport de la production, la relance du port de Ziguinchor… malick.ciss@lesoleil.sn