Elon Musk ne vise pas seulement les étoiles mais aussi… la Sénégambie. Son entreprise Starlink est en pourparlers avancés avec la Gambie pour s’y déployer. Elle parle aussi mezza voce avec le Sénégal, mais ici, le contexte est différent et, surtout, les acteurs autrement mieux ancrés.
Rien n’est encore signé, mais des discussions sont en cours entre Banjul et l’homme le plus riche au monde (sa fortune est estimée à 369,7 milliards de dollars par Forbes). Selon un consortium de journalistes suivant les investissements dans le secteur des télécoms, en juillet 2024, Ben Mac Williams, Directeur de l’accès au marché de Starlink pour le continent africain, ancien diplomate au Département d’État américain, a rencontré Mamadou Tangara, le ministre gambien des Affaires Etrangères, en présence des régulateurs du pays pour discuter de licences. Le 05 aout, ces discussions devenaient officielles avec un entretien virtuel entre M. Tangara et Elon Musk himsef « pour évoquer le pont numérique, l’éducation aux Stem (sciences, techniques, ingénierie et maths) et l’accès aux services essentiels via internet satellitaire.
En mai 2025, le très informé « ProPublica » (un organisme d’investigations journalistiques à but lucratif), révélait que « le diplomate américain en Gambie, Sharon Cromer, aurait exercé une ‘’pression intense’’ en évoquant un projet d’aide américaine de 25 millions de dollars lié à l’approbation de Starlink ». Si les pourparlers avec Banjul sont de notoriété publique, au Sénégal, ils sont plus discrets. Et c’est l’Artp qui est en mesure de lui délivrer une licence… Un dossier hautement « politique » si l’on ose dire. Pourquoi le déploiement de Starlink en Gambie devrait-il nous interpeller ? son réseau balaierait immanquablement de larges pans de notre territoire, surtout dans des zones où les enjeux sécuritaires restent d’actualité ; il rognerait les zones d’expansion potentielle des opérateurs légaux, même s’il permet de reculer « les déserts numériques ».
Il y a des siècles, les puissances européennes ont construit ce qu’on appellera mondialisation par le contrôle puis l’expansion des routes maritimes. Ensuite leurs empires cherchèrent à s’étendre sur des territoires de plus en plus vastes. A la veille de la Première guerre mondiale, cinq pays (Angleterre, France, Portugal, Espagne, l’empire Ottoman) se partageaient ainsi toute la planète hors Chine, Amérique latine, Europe et les Pôles. Puis vinrent les appétits vers l’espace. Les Américains installèrent alors des « antennes » relais à 36.000 km au-dessus de nos têtes, permettant une couverture continue et stable d’une vaste zone terrestre depuis un point fixe dans le ciel (donc géostationnaire), facilitant la diffusion mondiale de la télévision, du téléphone et des données. Telstar 1 inaugurait ainsi dès 1962 la course aux satellites de communication.
Des organismes étatiques, aux Usa, en Chine et en Europe animaient cette rivalité jusqu’à l’arrivée du privé Elon Musk et de Starlink, développé par son entreprise-amiral, Space X, lanceur d’engins. Pour donner une ampleur du poids de Starlink, elle est maintenant le leader incontesté du satellite internet avec plus de 7.000 satellites. Plus de 4 millions d’abonnés dans le monde. La Gambie n’est large « que » de 48 km, mais de l’Atlantique à sa pointe orientale (Fatata, non loin de Gouloumbou), il y a 330 km à vol d’oiseau. Or, les satellites de Starlink sont en orbite basse (environ 550 km), fournissent une zone de couverture continue jusqu’à environ ±60° de latitude, couvrant automatiquement des territoires voisins sans intervention locale. Tout dépendra du bon vouloir de Starlink.
Chez nous, le Sud des départements de Nioro, la zone frontalière courant des départements de Birkelane, Kaffrine, Kounghoul, Koumpentoum et Tamba sera potentiellement couverte par Starlink. Idem pour tout le Nord des départements de Bignona, Bounkiling, Médina Yoro Foula et Vélingara. Même sans licences multiples, les signaux peuvent franchir les frontières et être captés clandestinement via roaming. La question de la souveraineté numérique n’est pas qu’affaire de fractures à résorber. Mais aussi de territoires à défendre… samboudian.kamara@lesoleil.sn