«Notre grande tragédie dans la vie est que nous n’apprenons pas des erreurs du passé ». Cette assertion du poète Boutout Mohamed garde toute sa pertinence quand on l’analyse à l’aune de la survenue des drames qui se succèdent dans nos sociétés. Il ne s’agit pas de disserter ici sur la tragédie humaine, consubstantielle à la vie en société.
Cette tragédie, comme le rappelle l’écrivain Paulo Coelho, « surgit toujours et rien de ce que nous faisons ne peut changer une ligne du mal qui nous attend ». Deux récents drames, soldés par la mort de deux personnes, ont bouleversé, par leur violence et inhumanité, les Sénégalais. Deux récits qui choquent, déchirent et laissent pantois. Mais surtout laissent s’étioler nos certitudes et interrogent sur la cupidité et la folie humaine. Des attitudes qui peuvent conduire au pire. À la déchéance. Le premier drame est survenu à Arafat, une localité située dans la commune de Missira Wadène (département de Koungheul, région de Kaffrine). Dans ce village, sorti désormais de l’anonymat, l’infirmier chef de poste (Icp), Mamadou Samba Diallo, a été sauvagement tué dans la nuit du mardi 20 au mercredi 21 mai 2025 suite à un acte d’une violence inouïe.
L’Icp, qui résidait dans le poste de santé, a été alerté par des mouvements suspects près de son enclos vers 4 heures du matin. Il comprendra vite que son enclos de moutons était, en cette veille de Tabaski, la cible de ses visiteurs nocturnes. Il tentera alors de le défendre face à des voleurs déterminés à commettre leur forfait. L’affrontement vire alors au cauchemar : Mamadou Samba Diallo est poignardé à plusieurs reprises, et finit par succomber à ses blessures sur les lieux. Il s’en suivra une condamnation du ministère de la Santé et de l’Action sociale, de ses collègues et autres camarades syndicalistes du corps médical.
À juste titre d’ailleurs puisqu’il est tombé dans son lieu de travail, les armes à la main. L’alerte est très opportune vu que l’insécurité semble avoir franchi un pas. Même dans les sanctuaires que devraient constituer nos demeures et lieux de travail. Mais aussi l’arrestation de quelques présumés meurtriers de l’Icp. Le second drame, souhaitant naïvement qu’il soit le dernier, a eu pour théâtre Témento (commune de Paroumba, département de Vélingara) où a été tué Moussa Ndiaye, un commerçant de noix de cajou. Une sauvagerie qui a également conduit au lynchage de Babacar Ndiaye, l’agent de santé communautaire, chef de poste local accusé du meurtre.
Les faits remonteraient au 17 mai dernier d’après plusieurs sources concordantes. Moussa Ndiaye avait été attiré au domicile de Babacar Ndiaye par une offre alléchante de 8 tonnes de noix de cajou, évaluées à 4 millions de FCfa. Confiance faite, le commerçant aurait versé une avance de 2 millions de FCfa. Le jour du drame, Moussa Ndiaye s’est rendu à Témento pour finaliser le paiement et prendre possession de la marchandise. Malheureusement, il n’est jamais ressorti vivant de la résidence de Babacar Ndiaye.
Sa disparition, source d’une inquiétude croissante au sein de sa famille et de son entourage, a rapidement alerté les autorités. L’enquête de la gendarmerie de Pakour accable et cerne l’agent de santé communautaire Babacar Ndiaye, identifié comme la dernière personne ayant eu un contact avec la victime. Une perquisition de son domicile a conduit à une découverte macabre : le corps sans vie de Moussa Ndiaye, dissimulé dans une fosse située derrière les toilettes de la maison.
– La révélation de cette atrocité a provoqué une onde de choc et une vive émotion au sein de la population de Témento. La fureur et le désir de justice immédiate ont malheureusement mené à un acte de violence collective. Les populations ont violemment agressé Babacar Ndiaye, le passant à tabac dans des circonstances qui ont fait l’objet d’une large diffusion sur les réseaux sociaux. Que des images violentes révélant une barbarie humaine. Hospitalisé, l’agent de santé finira par être déféré. Dans les deux cas, des agents de santé sont impliqués. Comme victime et auteur. Ces deux faits-divers, loin d’être isolés et anodins, renseignent également sur la barbarie et la cupidité humaines qui peuvent aveugler et conduire à commettre l’indicible. Nous nous intéresserons ici à la cupidité qui est la « mère des crimes ». Une cupidité, maîtresse « dans l’art de nuire et chef de l’iniquité ».
Il serait donc plus sage de méditer sur les observations, bien à propos, d’Auguste Guyard, dans « Lettres aux gens de Frotey (1863) » avant de franchir le rubicond comme ceux qui l’ont fait à Arafat et Témento : « Rien n’est plus funeste à notre bonheur qu’une insatiable cupidité, que l’ambition d’une fortune rapide ; que l’envie du bonheur des autres ». Dans la perspective du même aveuglement qu’ils peuvent induire, « l’ambition et la cupidité ont les mêmes vices et se rendent coupables des mêmes crimes », selon « La sagesse populaire (1856) d’Adolphe de Chesnel (1856). Sauf que l’ambition peut être très saine là où la cupidité devient la « mère des crimes ».
Même si la vie est une tragédie, il nous faut la prendre à bras-le-corps comme le suggérait Mère Teresa. Mais surtout réfléchir à la commission d’actes qui seront regrettés en cette veille de fête. Encore que toutes ces armes blanches augmentent l’insécurité ambiante. ibrahimakhalil.ndiaye@lesoleil.sn