Le clash surréaliste, vendredi 28 février 2025 dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, mettant en scène le président américain Donald Trump, son vice-président J. D. Vance et le président ukrainien Volodymyr Zelensky nous donne, de façon abrupte, un avant-goût du nouvel ordre mondial en gestation. Il est d’ailleurs intéressant d’analyser le vocabulaire des deux protagonistes (Trump et Zelensky).
Le mot « carte » est revenu à plusieurs reprises dans l’échange tendu devant les caméras du monde entier. Trump disant à Zelensky qu’il « n’a pas les cartes en main » et ce dernier de répondre « qu’on n’est pas dans un jeu de cartes ». Cette séquence n’est pas sans rappeler Yalta où il était également question de… cartes, mais géographiques.
C’est durant cette fameuse conférence tenue du 4 au 11 février 1945 dans cette ville sur la côte sud de la Crimée (annexée par la Russie en 2014) que les trois Grands (Roosevelt, Churchill et Staline) s’étaient retrouvés pour diviser l’Europe en zones d’occupation et d’influence et jeter les bases du nouvel ordre mondial. Perçue a posteriori comme un découpage arbitraire, annonçant la guerre froide, elle ratifie plutôt un état de fait en attribuant aux différentes puissances les territoires qu’elles contrôlent déjà.
Sur le théâtre africain, la énième guerre dans l’est de la Rdc est le dernier soubresaut de l’ordre étatique africain post-Berlin. Qu’importe qu’elle soit une guerre d’annexion, de conquête ou d’occupation, quelque chose est en train de se jouer au Congo. Pour l’historien camerounais Achille Mbembé, ce conflit participe du réaménagement en cours de l’ordre étatique imposé en 1884 lors de la fameuse conférence de Berlin, lequel fut ratifié par l’Oua en 1964 avec la sacralisation du principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Il est d’ailleurs significatif, dit-il, que la partition de l’Afrique hier à Berlin et que sa « dé-partition » aujourd’hui et demain (aur)ont pour scène paradigmatique le Congo. Si l’on ignore sur quels scénarii va déboucher ce conflit en cours, Mbembe s’inquiète, à juste raison, que la « question du Congo », c’est-à-dire celle du contrôle de ses métaux rares, soit trop sérieuse pour que les puissances de la Terre la laissent entre les mains des seuls Congolais.
À Berlin comme à Yalta, les petits pays (africains et est-européens) n’étaient pas conviés à la table des négociations… parce qu’ils « n’avaient pas de cartes en main ». Ils devaient se contenter qu’on décide de leur sort à leur place. La scène humiliante pour le président ukrainien s’inscrit dans cette logique transactionnelle où les équilibres géopolitiques se négocient directement entre superpuissances. Celui qui n’a pas de « cartes en main » n’a pas droit à la parole et doit se contenter que d’autres, les Grands, décident à sa place. Pour n’avoir pas saisi cette nouvelle donne, le président ukrainien s’est mis dans une position difficile. Désormais, il est coincé entre le marteau russe et l’enclume trumpienne.
Dans un cynisme qui n’a d’égal que sa brutalité en matière de négociation, le président américain lui impose un choix cornélien : hypothéquer ce qui reste de la souveraineté de son pays en cédant ses minerais rares ou se retrouver seul face à l’ours russe. En réalité, c’est à une « dé-partition » de l’Ukraine que nous risquons d’assister. Les deux Grands (Poutine et Trump) semblent s’être mis d’accord pour un deal pour se partager ce pays pivot : 20% de terres ukrainiennes pour l’un, 50% de rares pour l’autre. Pour en revenir au cas de la Rdc qui nous préoccupe le plus, il faut prendre au sérieux les enjeux liés aux terres rares dont regorge son sous-sol.
D’autant plus que la droite nationaliste en Europe et aux États-Unis n’a pas totalement renoncé à ses velléités de « recoloniser » l’Afrique. Cette nouvelle « colonisation » pourrait ne pas revêtir la même forme que par le passé, mais l’objectif reste le même : faire main basse sur les immenses ressources naturelles du continent, en particulier de la Rdc qualifiée de « scandale géologique ». Quitte à alimenter des conflits par milices interposées. Il est urgent pour l’Afrique, face à ce funeste présage, de se doter d’une pensée stratégique pour dissuader ceux qui en nourrissent le dessein. seydou.ka@lesoleil.sn