De ma fenêtre, je regardais un oiseau. Un oiseau au plumage splendide qui prenait quelques graines en milieu de matinée. Un air de déjà-vu. Un air de déjà entendu comme cette fameuse phrase de Youssou Ndour dans une de ses chansons : « Je veux vivre, rester libre ; je veux m’envoyer vers le ciel. » Dans un précédent opus, il avait défini sa liberté comme l’envol d’un oiseau auquel il est loisible de se poser sur l’arbre de son choix. Une forte convergence avec « Je vole » de Michel Sardou, disant aurevoir à ses « chers parents » : « Je vous aime mais je pars/Vous n’aurez plus d’enfant… »
Hymnes à la liberté, hymnes à l’affirmation de soi. Chacun s’affranchit du plomb dans ses ailes pour visiter les cieux de sa propre destinée : la menace sur les libertés, le besoin de reconnaissance, le poids du regard de l’autre, la perte d’estime de soi, la solitude, la pauvreté, la stigmatisation, l’isolement, etc. La détermination donne des ailes, à l’image du vent qui souffle dans les voiles pour permettre à l’embarcation de voler littéralement, comme l’oiseau de la chanson, vers des horizons habités par la chance et la liberté. Le besoin de liberté accompagne donc les grandes enjambées vers une vie meilleure. Ce besoin porte toutes les marches pacifiques ou heurtées, pancartes à la main ou slogans criés à tue-tête.
Cette liberté est, assurément, une ressource essentielle à l’affirmation de soi et à l’émancipation des communautés. Une aspiration légitime des peuples à côté du devoir de veille sur la légalité exercée par les forces de sécurité comme mandataires de la puissance publique. En treillis ou en kaftan, un citoyen est un citoyen devant la loi. Les attributs de la police ou de la gendarmerie ne donnent pas le droit de faire vivre le martyre à quiconque. À ce niveau, la liberté ne subit qu’un seul diktat, celle de la responsabilité. Ce principe est un bol d’air pour les voix indignées des droits de l’hommistes dans ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’affaire des « bavures policières » à Cambérène et à Rosso.
Leurs mots se déploient, telles des ailes de la liberté, au-dessus de l’espace démocratique comme pour conjurer la pensée unique et la tentation de la répression. Ils sont dans leur rôle, pour reprendre l’expression diplomatique consacrant la diversité d’opinion adossée aux différents mandats. Le principe est de refuser que les drames ayant eu cours à Diamalaye et à Rosso soient classés au registre des habitudes des forces de la police. Une habitude n’est pas une bavure, entendons-nous bien sur le sens de ce mot.
Une bavure est un fait survenu par inadvertance. Elle peut être une bévue ou une erreur. Si tel n’est pas le cas, ce sera une bien vilaine habitude. Une seconde nature donc des forces de défense et de sécurité. C’est bien ce que laisse penser une autre opinion outrée par la récurrence des violences attribuées aux personnels chargés du maintien de l’ordre. Cette frange de l’opinion exhibe la liste des scènes et stigmates de la violence supposée des forces de l’ordre. Autant de blessures sur le corps de citoyens lambda et sur le visage des agents en service commandé censés les protéger. Les temps changent, à la vitesse du clic. Il y a deux à trois décennies, les défenseurs (ou les attaquants ?) des droits de l’homme faisaient le tour des rédactions, en compagnie de victimes présumées de la violence policière. Le « supplicié » du jour entrait dans la grande salle des journalistes dans une apparence normale. Puis, pris en isolement dans une petite pièce, montrait, lorsqu’il se dévêtait, une natte de balafres sur son corps. La photo immortalisait cette preuve d’une souffrance entre les mains des protecteurs habilités par la loi.
Cette scène était devenue très courante, avec le transport d’émotions qui défie la raison ou la distance d’objectivité au respect de laquelle est tenu le journaliste. Aujourd’hui, dans un monde en réseau, le moindre coup de matraque a un très grand retentissement. Haut perchés sur leurs balcons, des témoins filment les scènes de violence, n’hésitant pas à charger les forces de l’ordre. Ma mémoire ne sera pas sélective. Elle est longue, la liste des drames : Mamadou Sidibé de Kédougou, Malick Bâ de Sangalkam, les étudiants Balla Gaye, Fallou Sène et Mamadou Diop, Thierno Bâ et Lamine Dieng de Cambérène, Talla Keïta de Rosso… Ne l’oublions pas : ils ont rejoint dans l’au-delà leurs aînés policiers du 16 février 1993, massacrés alors que leur voiture ne démarrait pas ! Même au sol, à hauteur d’homme, la souffrance est une aubaine pour les voyeurs.
Les policiers n’y échappent pas ! Ils sont nombreux à avoir vu la scène très scandaleuse d’un policier au sol, roué de coups et recevant une brique de la manière la plus cruelle. Il a survécu alors que beaucoup l’avaient donné pour mort. Il n’existe pas de douleur plus vive que l’autre au prétexte que la victime est civile ou non. Un contentieux reste pendant. Le temps dira, peut-être, l’origine des balles ou des machettes du désastre. Dans la nuit noire des rancœurs, les mains malfaisantes peuvent aller plus vite que les intentions des bien-pensants pour lapider ou tuer. Je retiens de tout ceci que l’innommable est d’une laideur extrême pour un pays où la fraternité doit être le ciment du patriotisme. Cette bâtisse est le patrimoine de tous, qu’ils soient civils ou agents de la police ou de la gendarmerie.
Pour en prendre soin, il est important de tisser des relations de respect et de confiance. Le spectacle de citoyens qui crient leur colère et de policiers qui gesticulent est d’une banalité très dangereuse dans nos rues. Il est beau le spectacle de policiers ou gendarmes apportant leur assistance à des routiers confrontés à une panne de leur véhicule. L’image culte est celle de citoyens donnant à boire à ceux qui veillent sur leur sommeil et leurs biens. L’attitude républicaine de la part des citoyens de tous les bords ne cloue pas nos rêves au sol ; elle donne plutôt des ailes à nos accomplissements en libérant nos âmes des ombres des rancœurs et préjugés. Et l’oiseau des libertés continuera de chanter à nos fenêtres !