Il arrive que de grandes ambitions naissent loin des caméras, dans le silence des laboratoires, entre le vrombissement d’un moteur de test et la concentration d’un jeune ingénieur penché sur une carte électronique. Et pourtant, ce sont ces moments discrets qui forgent l’avenir d’un pays.
Le Sénégal construit désormais cet avenir en orbite. Alors que l’attention publique est captée par les urgences du quotidien, une révolution technologique, patiente mais profonde est à l’œuvre. Le montage de Gaindesat-1b, deuxième satellite sénégalais, avance à grands pas à l’Université de Montpellier, où nos ingénieurs, dans une discrétion toute républicaine, gravissent les marches d’une souveraineté nouvelle : celle de l’espace.
Non, ce n’est pas un rêve de puissance anachronique. C’est un acte politique, stratégique, vital. Le Pr Gayane Faye, coordonnateur de Sensat, a annoncé avec fierté l’avancée des travaux sur ce satellite, successeur de Gaindesat-1a, mis en orbite le 16 août 2024. Ce dernier accomplit depuis seize rotations quotidiennes autour de la Terre, deux au-dessus du territoire sénégalais.
À chaque passage, une fenêtre de sept minutes s’ouvre, comme un clin d’œil du ciel à la Terre, pour interagir avec cet outil précieux de collecte de données environnementales. Mais Gaindesat, au-delà de son nom évocateur (Gestion Automatisée d’Informations et de Données Environnementales par Satellite), porte une charge symbolique immense. Il s’appelle ainsi pour une raison : « gaïndé », le lion, c’est l’animal totem du Sénégal, mais c’est aussi la métaphore d’un pays qui avance avec dignité, qui apprend à marcher seul quand il le faut, ou à choisir ses appuis avec lucidité. Car soyons clairs : dans le monde tel qu’il est devenu -instable, brutal, impitoyable- l’autonomie n’est plus une option.
La guerre israélo-iranienne, déclenchée il y a à peine une semaine, rappelle avec fracas que la géopolitique n’a que faire de la naïveté. Chaque État protège ses intérêts, et il ne faut pas se bercer d’illusions. En cas de crise, personne ne viendra vous donner ce qu’il n’est pas dans son intérêt de vous offrir. La politique du « soft power », souvent louée dans les amphithéâtres et les salons diplomatiques, se heurte parfois à des murs d’hostilité opaque. Nos Lionnes du basketball féminin en ont fait les frais, refusées de visas par Washington pour un stage de préparation à l’Afrobasket 2025. Un affront diplomatique, un signal clair : nous ne sommes pas prioritaires, sauf à le devenir par nous-mêmes.
Face à cela, le Premier ministre Ousmane Sonko a salué l’appui concret de la Chine, qui a octroyé des bourses à nos athlètes. Il en a tiré les leçons avec clarté, appelant à une nouvelle doctrine de coopération libre, équilibrée, fondée sur le respect mutuel et les intérêts partagés. Une posture saine, lucide, et profondément républicaine.
Dans cette même logique, Gaindesat-1b n’est pas un gadget technologique ni un luxe réservé à quelques élites scientifiques.
C’est un pilier de notre souveraineté nouvelle. C’est un levier pour notre agriculture, pour la gestion de l’eau, pour notre sécurité, pour notre environnement. Et surtout, c’est une preuve que l’État sénégalais sait investir dans le long terme, là où souvent les urgences politiques étouffent les rêves collectifs. Le premier satellite est le fruit de cinq années de travail acharné. Il incarne une conviction, celle que la modernité ne se quémande pas, elle se construit.
Elle se construit dans les universités, dans les laboratoires, dans les centres de recherche, dans le courage et la foi de ceux qui croient que le Sénégal peut être grand par sa science autant que par son histoire. Sous nos pieds, la terre gronde. Mais au-dessus de nos têtes, quelque chose a changé. Le Sénégal regarde désormais vers les étoiles, pas pour s’y perdre, mais pour mieux comprendre, mieux décider, mieux agir. Le futur ne viendra pas nous chercher, il faut aller le saisir.
salla.gueye@lesoleil.sn