Me Mame Adama Guèye, figure emblématique de la société civile sénégalaise, le rappelait à juste raison, mercredi, dans les colonnes du quotidien national : la démocratie n’est pas un acquis définitif. Autrement dit, le projet démocratique est un chantier en perpétuelle construction. Un projet prométhéen. Susceptible de connaître des mutations, des influences ou d’être remis en cause à tout moment par des phénomènes et des dirigeants au profil parfois inattendu. Sinon comment comprendre les évènements en cours aux États-Unis, l’une des démocraties les plus anciennes et les mieux établies du monde ? En effet, Donald Trump qui a signé un retour fracassant veut tout chambouler à la Maison-Blanche. Sa première victime : la liberté d’expression.
Désormais, seule une poignée de journalistes aura le privilège de suivre le président ou les conférences de presse de sa porte-parole. Et, chose inédite, c’est le président républicain lui-même qui les choisit, rompant ainsi avec un système mis en place depuis des décennies et géré par les médias eux-mêmes à travers l’Association des correspondants à la Maison-Blanche (Whca). Créée en 1914, cette association gère le fonctionnement du groupe de journalistes qui accompagne le président des États-Unis lors de chacune de ses apparitions publiques, en particulier lorsqu’il voyage à l’étranger. C’est elle qui attribue les treize places réservées pour la presse dans l’avion présidentiel « Air Force One » ainsi que les sièges dans la salle de presse de la Maison-Blanche.
Pour les journalistes qui n’ont pas le privilège de suivre le président américain, c’est également cette association qui est chargée de leur faire un compte-rendu des faits, gestes et déclarations du chef de l’État, via des comptes-rendus écrits, ou en diffusant des captations vidéo et audio ainsi que des photographies. Comme on peut donc le voir, c’est plus d’un siècle d’histoire, de collaboration et de pratique journalistique que la galaxie Trump veut remettre en cause pour faire place à ses propres journalistes, à des animateurs, podcasteurs et influenceurs populaires auprès de ses électeurs. Plus grave et démocratiquement inacceptable, Donald Trump qui ne cesse de s’attaquer aux journalistes a décidé de bannir la principale agence du pays de la Maison-Blanche : Associated Press (Ap). Le seul tort de cette institution de la presse américaine : son refus de se conformer à la nouvelle appellation du golfe du Mexique, rebaptisé « golfe d’Amérique » par Donald Trump qui a qualifié les journalistes de cette prestigieuse agence « d’extrémistes de gauche » et de « journalistes de seconde zone ». AP n’est pas d’ailleurs la seule agence à faire les frais de ce réflexe dictatorial du républicain. Reuters et Bloomberg doivent, elles aussi, se partager dorénavant l’accès au bureau ovale et à Air Force One.
Ce choix du nouvel locataire de la Maison-Blanche repoussant les professionnalistes attachés aux faits, « rien que les faits » pour accueillir les « journalistes militants et obéissants », rappelle des méthodes bien tristes en cours dans beaucoup de pays. On l’a vu en Argentine. L’imprévisible président Javier Milei a d’abord supprimé « Telam », l’agence de presse nationale avant de prendre les mesures plus liberticides les unes que les autres. Même méthode utilisée en Slovaque où le grossiste de l’information a tout simplement été transformé en agence gouvernementale. Mais cela va de soi : de tous ces pays où la démocratie est malade, la liberté d’expression en régression, ce sont les États-Unis qui suscitent le plus d’inquiétudes.
La raison est simple. Le pays de « l’Oncle Sam » a été une référence mondiale. Un des phares de la démocratie. Le déclin de ce modèle américain peut entraîner de lourdes conséquences dans un monde bloqué et menacé de toutes parts par des communautés qui se barricadent, des politiques d’inclusion qui se dévalorisent et des principes d’égalités subordonnés. Tout cela pour dire que la situation est alarmante. Mais, tout n’est pas perdu. Il est encore possible de réparer cette « démocratie abîmée ». Il suffit juste d’une prise de conscience des républicains au pouvoir doublé d’un sens élevé de l’intérêt général. À Donald Trump donc de nous surprendre en faisant retrouver à son pays l’enviable place de vitrine démocratique chantée, protégée et farouchement défendue par ses prédécesseurs. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn