Les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes, composée du Mali, du Burkina et du Niger) quittent officiellement la Cedeao aujourd’hui, 29 janvier, un an après avoir annoncé leur intention « irréversible » de partir.
A moins que la période transitoire qui court jusqu’en juillet prochain ne produise un miracle, l’Afrique de l’Ouest se retrouve avec deux entités étatiques qui ont les mêmes ambitions, à y regarder de près et qui pourraient être des concurrents ou des partenaires. Au vu des derniers développements de l’actualité sous-régionale, on a du mal à imaginer clairement le type de rapports qui devraient exister entre ces deux voisins condamnés par la géographie, l’histoire, l’économie et la culture à interagir.
Si les régimes militaires sont restés constants dans leur perception négative de la Cedeao, l’inverse n’est pas évident. On assiste à des signes de rapprochement entre les trois pays et le Togo, dont le ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey n’a pas exclu l’éventualité de voir son pays rejoindre le contingent de l’Aes. Courant janvier toujours, le Ghana nommait un envoyé spécial auprès de l’Aes, marquant un tournant dans ses relations avec les juntes militaires. L’Aes rêve de débaucher dans les rangs de la Cedeao de nouveaux membres avec lesquels elle partage les mêmes défis (péril jihadiste, criminalité transfrontalière) et la même perception de certains principes telles que le souverainisme.
L’invite du Premier ministre du Niger, Ali Mahaman Lamine Ziene, en mai dernier, à rejoindre l’Alliance sur la base d’une « culture de la souveraineté et de la dignité » est loin d’être une provocation anodine. D’autant plus qu’on constate une « offre » de la Confédération des Etats du Sahel qui s’aligne de plus en plus sur celle de la Cedeao. Les trois pays comptent se doter d’institutions financières pour assouvir leurs ambitions d’intégration économique (projet de banque d’investissement et de fonds de stabilisation pour soutenir ses projets structurants). Ils annoncent ou lancent des symboles de souveraineté, notamment le projet de monnaie commune remplaçant le franc Cfa, et la mise en circulation d’un passeport commun, à partir de ce 29 janvier (qui coïncide avec l’officialisation de la rupture avec la Cedeao).
D’autre part, l’Aes redessine les flux commerciaux dans la sous-région en fonction de la qualité des relations avec les voisins. Ainsi, les ports de Cotonou et d’Abidjan subissent les contrecoups de la détérioration des relations diplomatiques entre le Niger et le Bénin et entre la Côte d’Ivoire et les trois Etats. Cotonou a perdu 20 à 30% de volumes à l’importation et 10 à 15% de son chiffre d’affaires, au profit de celui de de Lomé (Togo), et Abidjan a vu son fret baisser au premier trimestre 2024. On constate donc que l’Aes a posé beaucoup d’actes en un an. Quant à la Cedeao, la question est de savoir si elle va appliquer dans toute leur rigueur ses textes en cas de départ d’un pays membres (fin des projets et programmes et pertes d’avantages sur les plans institutionnel, politique, financier, socioéconomique).
Dans ce cas, l’organisation parviendra-t-elle à parler d’une seule voix, au vu des intérêts qui pourraient diverger ? Par exemple un pays qui tire profit de cette redéfinition des flux commerciaux, sacrifiera-t-il ses intérêts au profit de l’organisation ? Les sanctions de la Cedeao avaient éprouvé les entrepreneurs sénégalais qui ne pouvaient plus exporter vers le Mali. Souffrant déjà des divisions entre francophones et anglophones, l’organisation pourrait se retrouver dans une position délicate mettant face à face un ou des pays favorables à l’Aes proche de la Russie et les partisans de la ligne dure, dépeints comme favorables à l’Occident. Saura-t-elle tirer les leçons de ses échecs passés pour éviter d’autres départs ?
La crise avec l’Aes a fini de montrer que, en s’érigeant en vigie de la démocratie, de l’Etat de droit et de la gouvernance (condamnation des coups d’Etat, limitation du nombre de mandats présidentiels), la Cedeao peut être vue comme une entrave face à des régimes décidés à passer outre ses garde-fous (troisième mandat, violation des droits de l’homme etc.). Aujourd’hui, c’est un impératif pour elle de revoir son mode de fonctionnement pour devenir pleinement une Cedeao des peuples, afin de « repartir sur des bases nouvelles qui nous évitent la situation que nous traversons aujourd’hui » comme le dit le président Bassirou Diomaye Faye lors de sa visite à Bamako en mai 2024.
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)