«Certains parlent d’État Pastef, mais je crois à la logique de l’État-parti » ! Et vlan ! Cette déclaration du Premier ministre Ousmane Sonko, le 15 juillet 2025, n’a pourtant pas soulevé les cris d’orfraie des « observateurs » ou suscité des « Ya Weyli, Ya Weyli » (au secours ! au secours !), comme on l’aurait entendu en Mauritanie en pareille envolée.
Blasés les gardiens de l’orthodoxie démocratique ? De retour de Chine (tiens, tiens…), le leader du parti au pouvoir exprimait peut-être ce jour-là devant le Conseil national de son parti, de guerre lasse, une conclusion personnelle de ce qu’il lui a été donné à voir depuis qu’il est passé de l’autre côté du miroir, depuis qu’il a muté d’opposant en homme politique au pouvoir. On a beau dire, rares sont les occasions de faire le bilan du processus démocratique au Sénégal.
Il y a régulièrement des alternances au sommet de l’État, le suffrage universel est la norme, les scrutins sont réputés sincères et transparents, les institutions dialoguent, l’État perd des procès, des lois de la majorité sont parfois rejetées par les juridictions compétentes. Ce n’est certes pas suffisant pour établir un label parfait, mais le fait est que le Sénégal est classé depuis des décennies maintenant dans la catégorie des pays où s’applique « le moins mauvais des systèmes », où s’épanouit « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Pour autant, sommes-nous heureux ? Notre fameux « commun désir de vie commune » tient-il toujours ? Un peu partout dans le monde, ce système est chahuté, sans que l’on ne puisse affirmer s’il tombe sous les coups de boutoir du capitalisme financier en générant tellement d’inégalités qu’il rompt le lien social ou s’il n’a été finalement qu’une parenthèse dans la marche de l’humanité. Les États qui faisaient référence ne constituent plus des modèles au sens de la démocratie pensée par ses pères fondateurs. Aux Usa, en Inde, en Chine et en Russie, pour ne citer que les puissances, « l’autorité », le nationalisme et le populisme priment. En Europe occidentale, les extrêmes gouvernent ou sont aux portes du pouvoir. Dans l’une des plus vieilles démocraties d’Asie, Israël, le projet sioniste qui s’y déroule ne cadre plus avec la compréhension que l’on se fait d’un système censé défendre la vie.
En Afrique de l’Ouest, après la séquence post-Discours de La Baule, c’est le retour des putschs militaires. Sur le continent, les nouvelles références ne s’embarrassent point de la recherche du label démocratique. Pourquoi pensez-vous au Rwanda ? Dans son remarquable ouvrage « L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril », paru en 2025 aux Éditions « Riveneuve », le journaliste Ousmane Ndiaye, ancien rédacteur en chef de Tv5 Afrique et responsable Afrique du « Courrier international » démonte l’idée très répandue ces temps-ci qu’il faudrait « une démocratie adaptée aux réalités africaines ».
Comme si, écrit-il, « ultime offense, les valeurs africaines étaient antinomiques avec la démocratie ». Il bat en brèche l’idée d’une démocratie à l’occidentale et vise à ré-universaliser l’idée de démocratie, pour « reverser la perspective dangereuse du relativisme démocratique et ses grilles de lecture biaisées ». Le Sénégal tient malgré tout son rang malgré son incapacité depuis quelques années à faire l’économie de crises électorales sanglantes. C’est d’ailleurs le récit sur les usages et mœurs démocratiques qui sourd en toile de fond de la conjoncture politique. Ici, aussi loin que remontent les souvenirs, on peut bien établir des séquences qui, après coup, donnent à voir le film de nos actuels soucis. Malgré leur farouche opposition, le pouvoir socialiste, entre 1978 et 2000, n’a jamais empêché à ses éternels opposants, le libéral Abdoulaye Wade et La Gauche (Pit, Ld, Aj/Pads…), de se présenter à un scrutin. Entre 2012 et 2019, deux courants majeurs de l’opposition d’alors, le Pds et Taxawou Sénégal ont vu leurs candidats (respectivement Karim Wade et Khalifa Sall) empêchés de prendre part à l’élection présidentielle.
La démocratie a comme un système immunitaire qui défend son corps politique si l’on ose écrire. Cette demande « tuée », s’est alors exprimée une offre hors des sentiers classiques. Une démocratie est animée par des démocrates. samboudian.kamara@lesoleil.sn