Il est de ces exceptions à préserver à tout prix, tant elles impactent, parfois sans que l’on n’y prête attention, nos interactions sociales, renforcent notre cohésion et notre profond désir de vivre-ensemble.
L’exception sénégalaise, c’est d’avoir transformé en facteur d’unité ce qui divise sous d’autres cieux : la religion. Véritables porte-étendard du message mohammadien, nos confréries sont moins dans une logique de compétition que dans une stratégie de forger l’homme sénégalais à évoluer en harmonie dans sa société. Ce rôle de pédagogue continue de conforter la cohésion du tissu social, malgré les assauts de la modernité, les difficultés du quotidien et les tentations de tous genres. Et il ne date pas d’aujourd’hui, car l’histoire de grandes figures de la Tijjaaniyya est jalonnée par de grandes figures, armées de leur aiguille pour recoudre les moindres fissures de notre tissu social. Loin de se compromettre auprès des Blancs dans sa mission de disséminer l’islam au Sénégal et en Afrique de l’Ouest, Seydi Hadji Malick Sy, tout en forgeant les âmes, les incitait à vivre en harmonie avec le colon, convaincu qu’il était que le vrai combat, c’est de semer dans les cœurs et les esprits. S’opposer et gagner par l’intellect et non par les armes ou la soumission.
C’est pourquoi l’écho de sa voix portait très loin, plus profondément même que les décisions rigides du colon. Ses dignes héritiers et « muqqadams », tout comme les autres figures de la Tijjaaniyya à travers le Sénégal, ont consolidé les acquis. Dans la plus grande discrétion souvent, nos chefs religieux de tous bords recollent les morceaux de notre société, ressoudent les familles, désactivent les bombes sociales et politiques. Il est tout naturellement de leur rôle de faire une invite à sauvegarder ce qui nous unit. L’appel à « la réconciliation des cœurs, à la retenue des acteurs politiques et à l’engagement spirituel des chefs religieux pour pacifier la nation », lancé par le Khalife général des Tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour, le samedi 23 août 2025, en prélude au Gamou, nous rappelle que les acquis ne se perdent que si on ne les entretient pas.
Ils s’effritent dangereusement devant la conflictualité de nos opinions et appartenances politiques et sociales. Si le Sénégal a su se ressaisir à temps à chaque fois que les ambitions des uns et des autres s’entrechoquent jusqu’à nous mener au bord du précipice, c’est justement grâce à ses citoyens armés de leurs chapelets et de leurs prières. Le défunt Cheikh Ahmed Tidiane Sy ne cessait de dire que le Sénégal a besoin de prendre un bain purificateur pour éviter le pire, le très républicain Serigne Abdoul Aziz Sy, lui, parlait à nos cœurs (« tappé xoll yi ») pour y puiser la force de pardonner, de faire bloc et de sauver la barque Sénégal devant les démons de la division et de la confrontation. Leurs appels restent toujours actuels.