Deux nouvelles contradictoires nous sont venues récemment de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad). La première, la moins bonne, est liée aux scandales des notes dites sexuelles. La deuxième, la bonne, c’est la nomination d’un nouveau recteur, le 5 mars 2025, en la personne du Pr Alioune Badara Kandji.
Issu d’une famille d’universitaires – son père, comme lui, fut doyen de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Ucad – le Pr Kandji aura la lourde responsabilité de réconcilier ce temple du savoir avec sa devise : lux mea lex (la lumière est ma loi). Car, il faut le dire, ces dernières années, l’Ucad était devenue un temple de l’obscurantisme où la violence physique prend souvent le dessus sur la force des idées.
Ce rappel m’offre l’occasion de réfléchir sur les défis liés à l’éducation dans un monde en mutation. Pour Platon, l’inventeur de ce qu’on appelle aujourd’hui « ministère de l’éducation » et de l’idée de scolarisation universelle, l’éducation détermine l’ensemble du cours social et politique. Ce responsable suprême de l’Education ou, si l’on veut, « responsable de la jeunesse » était un membre de la plus haute sphère gouvernementale dans la Grèce antique. Il avait une compétence universelle sur toute la jeunesse, masculine et féminine. Le philosophe sénégalais Djibril Samb rappelle dans son ouvrage « Chemins platoniciens » (L’Harmattan, 2024, 199 p.), qu’en raison de son importance cruciale, cette fonction était confiée « au meilleur citoyen », parce qu’il exerce des missions capitales. Si Platon se montre si soucieux des qualités morales de la personnalité appelée à présider à cette fonction de ministre de l’éducation, c’est que ce ministère doit être le soubassement et le vecteur transversal de toute politique publique. Ce long rappel avait pour but de montrer combien ceux qui ont en charge l’éducation de la jeunesse doivent être exemplaires.
Ce constat fait, que signifie éduquer au monde qui vient ? Lors d’une conférence prononcée à l’occasion du 60e anniversaire de la Fastef, le 20 décembre 2022 à Dakar, un autre philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne, s’interrogeait sur cette question cruciale. Pour lui, dans le climat intellectuel qui est le nôtre aujourd’hui, la première exigence que rencontre une telle réflexion est celle d’une décolonisation. Partout, en tout temps, l’éducation en général est synonyme de « décolonisation de l’esprit », observe Diagne. En d’autres termes, le combat pour la décolonisation des esprits est simplement synonyme de combat pour l’éducation car la finalité de celle-ci est de débarrasser l’esprit de ce qui le colonise, c’est-à-dire de tout fatras de préjugés et d’opinions non fondées en raison qui offusquent la lumière du savoir. Mais plus que l’accès à ce savoir, il convient d’interroger la pertinence de perpétuer un modèle académique dominant basé sur un canon épistémique euro-centrique, c’est-à-dire qui attribue la vérité uniquement au mode occidental de production du savoir, ne tenant pas compte des autres traditions épistémiques, notamment africaines.
La pensée dite décoloniale parle ainsi « d’épistémicide », considérant les modes dits occidentaux de savoir comme des machines à éradiquer les épistémès du Sud global. Il ne s’agit pas ici de demander de brûler la « bibliothèque coloniale » – ce serait se tirer une balle dans le pied – mais de s’adapter aux défis. Convaincu que penser d’une langue à une langue, c’est ultimement cela même qu’on appelle éducation, Diagne suggère de construire une continuité entre la langue des premiers apprentissages et celle de l’école dans une politique du plurilinguisme faisant place à ces langues devenues africaines comme l’anglais, le français ou le portugais. L’erreur serait donc de remplacer le monolinguisme colonial par un monolinguisme postcolonial (les langues africaines). En effet, « éduquer est toujours ouverture et décentrement » (Diagne). Le quatrième calife de l’islam, Ali ibn Abi Talib recommandait ainsi d’apprendre à nos enfants ce que nous n’avons pas appris « car ils ont été créés pour une époque différente de la nôtre ». En dépit de l’apparent paradoxe de cette parole – comment enseigner ce que l’on a n’a pas appris ? – elle éclaire parfaitement l’éducation comme décentrement et ouverture. Des enseignants et des gouvernants imbus des vertus platoniciennes aideraient dans ce combat. seydou.ka@lesoleil.sn