«Que Marine Le Pen nous fasse un coup à la sénégalaise : qu’elle accepte que Bardella devienne président de la République pendant qu’elle-même se contente du poste de Première ministre. C’est ce qui s’est passé il y a six mois (un an, en fait) au Sénégal », plaide, le 31 mars dernier, Yves Thréard, éditorialiste politique aux idées proches de l’extrême droite, sur une chaîne de télévision française.
Quelques heures plus tôt, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, a été condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme, et à cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire – une mesure impliquant l’application immédiate de la sanction. En France, lorsque l’élu trahit le mandat que le peuple lui a confié, la souveraineté populaire est affaiblie. Il revient alors à la justice de mettre fin à la dérive. L’exécution provisoire répond à cette exigence constitutionnelle : rappeler que le mandat politique n’est pas une propriété, mais une responsabilité temporaire, révocable. Ironie du sort, Marine Le Pen conteste aujourd’hui une sanction qu’elle réclamait elle-même en 2002 – elle appelait alors de ses vœux une « inéligibilité à vie » pour les responsables politiques convaincus de détournement de fonds publics. Désormais, elle en appelle au peuple contre l’État de droit. En définitive, elle ne veut plus de contre-pouvoirs, dont l’effacement a déjà fait basculer le monde dans les abysses de l’histoire. Par exemple, affirmer que les Allemands ont « porté Hitler au pouvoir » est une simplification historique.
Ce mythe fait peser sur le peuple une fascination supposée pour l’autoritarisme, occultant la véritable cause : l’effondrement des contre-pouvoirs. L’ascension du nazisme fut d’abord le fruit d’alliances politiques opportunistes et de compromis avec les élites économiques. Une fois installés, les nazis ont rapidement piétiné les libertés fondamentales. Ce fut une course contre la montre. Par une série de décisions rapides et désordonnées, ils ont paralysé les institutions, les empêchant de réagir. Ce processus porte un nom : Gleichschaltung, ou « mise au pas ». Une séquence symbolique : après l’incendie du Reichstag en 1933, le président du Reich suspend les libertés fondamentales. Aucun juge ne s’y oppose. Les derniers remparts judiciaires cèdent. Hitler n’a même pas besoin de modifier la Constitution : elle cesse simplement de s’appliquer. En France, c’est dans cet esprit que la juge Bénédicte de Pertuis a reconnu Marine Le Pen coupable de détournement de fonds publics et de complicité. La lourde peine qu’elle prononce la rend inéligible pour la présidentielle de 2027.
Elle souligne que Marine Le Pen représenterait un danger pour la République si elle accédait au pouvoir. Dans ce contexte, la comparaison avec le Sénégal fait florès chez Thréard. Pourtant, chez nous, le slogan « Sonko moy Diomaye » (Sonko, c’est Diomaye) résume le pari réussi d’une transmission politique entre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. En France, en revanche, « Le Pen dou Bardella » (Le Pen, ce n’est pas Bardella). Jordan Bardella bénéficie certes d’une légitimité issue de ses succès électoraux aux européennes et aux législatives, mais il reste perçu comme un dauphin désigné – et non comme un homme de rupture – souvent moqué pour n’avoir jamais exercé d’autre métier que la politique. À l’inverse, Bassirou Diomaye Faye n’avait jamais réussi à se faire élire avant le 24 mars 2024. Il avait échoué à Ndiaganiao en 2022 et sa candidature aux législatives avait été invalidée. Cependant au Pastef, la séparation entre la famille et l’engagement politique est claire. Au Rassemblement national, en revanche, le nom « Le Pen » reste indissociable de l’appareil.
L’épisode Bruno Mégret, autrefois numéro deux du Front national, en est un exemple marquant. Devenu trop encombrant pour Jean-Marie Le Pen, il avait été poussé vers la sortie en janvier 1999. Aujourd’hui, alors que Marine Le Pen n’appelle plus Bardella que par son prénom – « Jordan » – dans une tentative à peine voilée de le désacraliser, une autre figure émerge : Marion Maréchal. La nièce de Marine Le Pen semble se positionner comme la principale alternative. Si Marine reste inéligible après l’appel prévu en 2026, il n’est pas exclu que l’électorat historique du Front – canal traditionnel – plébiscite Marion comme candidate. Comme le Pds au Sénégal, le Rn demeure, en creux, une entreprise familiale. moussa.diop@lesoleil.sn