Dans le « Petit Robert » de la langue française, l’expertise est définie comme la « compétence d’un expert ». Elle est donc intrinsèque à l’homme ou à la femme chargé(e) de l’incarner. Ainsi, la définition du terme « expert » comporte quant à elle deux volets.
Le terme est associé à celui qui a, par l’expérience, acquis une grande habileté dans un métier, dans quelque chose et au nom donné à des hommes qui, en ayant la connaissance acquise de certaines choses, sont commis pour les vérifier et pour en décider. Le terme latin « experiri » signifie « éprouver » et se rapporte également à l’expérience et aux êtres qui ont acquis par l’usage, non pas une simple connaissance générale, mais une habileté spéciale. C’est donc clair : l’expert, c’est celui qui fonde son analyse sur la science et la connaissance. S’il est sollicité par les médias, c’est d’abord et avant tout pour aider à une meilleure compréhension par le public de l’information servie quotidiennement par les journaux, les chaînes de radio et de télévision.
Est-ce ce qu’on voit au Sénégal ? Malheureusement, non. Et la raison est toute simple : nos experts, le plus souvent les mêmes, sont devenus de simples prestataires de services se disputant l’espace médiatique, non pas pour enrichir le débat, mais pour livrer leurs sentiments et reproduire leur propre vision des choses. Au grand dam du citoyen qui a du mal à se retrouver dans cette cacophonie. Ceci fait dire à l’historien Mamadou Diouf que nous assistons à l’avènement d’une « civilisation du ‘‘foureul’’ ». On a des experts en tout, qui parlent de tout sans aucune expertise. Et parler de tout et de rien, dit l’historien, on ne peut le faire que de manière superficielle. Ousseynou Kane, ancien chef du Département de Philosophie, préoccupé lui aussi, qualifie ces experts de « vendeurs d’opinions ». « Parfois, dans les salons des cars rapides, on entend des idées plus crédibles que celles développées par certains experts et universitaires ». Un phénomène que le Professeur Ousseynou Faye, du Département d’Histoire de l’Ucad, appelle « une indigénisation du savoir ».
Ibrahima Sarr, ancien directeur du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti), y voit, lui, une « montée d’un discours de surplomb » qui renvoie à la rhétorique de l’expertise. Sarr de qualifier ces experts de « cubes Jumbo », bons à toutes les sauces. « Certains experts ne peuvent plus se passer des médias qui agissent chez eux comme une sorte de drogue, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à intervenir à tout bout de champ, parfois sur des questions qui ne relèvent pas de leur domaine de compétence ».
C’est tellement vrai qu’en écoutant certains sociologues et politologues, surtout les plus jeunes, on a l’impression que c’est l’homme de la rue qui parle. Or, comme le dit Ousseynou Kane, le suffixe « logue » signifie « parole et raison ». Autrement dit, les politologues et les sociologues, sans doute les plus sollicités parmi les experts médiatiques, ne doivent parler que du point de vue de la raison, de la connaissance et de la science. Alors, que cherche cette nouvelle race de spécialistes en trustant les émissions de débat et les rubriques des journaux ? La réponse est donnée par Pierre Bourdieu.
Ces « intellectuels intermédiaires » et « vendeurs d’opinions », nous dit le sociologue français, sont en quête de visibilité et de reconnaissance, utilisant les médias pour se vendre et faire leur propre promotion. Aux médias donc d’être vigilants et minutieux pour répondre aux exigences d’un public de plus en plus scolarisé, qui a des attentes par rapport à certaines questions. Comment ? En choisissant les bons et vrais experts (de préférence ceux qui ont écrit sur le sujet), capables d’éplucher les faits, les analyser pour en déduire d’éventuelles conséquences. C’est ainsi seulement qu’on réussira à avoir ce qu’on attend des experts : apporter de la valeur ajoutée, une plus-value par rapport à l’information, l’événement ou l’actualité. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn