Les magistrats sont-ils justiciables comme les autres ? Les députés peuvent-ils les convoquer pour des auditions ? Le Conseil constitutionnel a-t-il rejeté toute la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale ? Désaveu ? Censure ? Les interprétations sont allées bon train depuis la publication de la décision du 24 juillet 2025. Soleil Check vous propose une fiche d’explication pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette décision qui fait débat.
Une saisine encadrée par la Constitution
C’est par une lettre du Président de la République que le Conseil constitutionnel a été saisi, après l’adoption de la loi organique du 27 juin 2025 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Le Conseil a examiné les 136 articles de ce texte. Il a jugé la procédure d’adoption régulière, ce qui signifie que les étapes prévues par la Constitution ont été respectées. Mais plusieurs articles ont été jugés non conformes. D’autres, validés sous conditions.
Le Conseil a déclaré inconstitutionnels les éléments suivants :
l’alinéa 2 de l’article 56
l’alinéa 6 de l’article 60
l’alinéa 6 de l’article 111
l’article 134 de la loi organique
Pourquoi l’alinéa 2 de l’article 56 a été censuré ?
Cet alinéa permettait aux commissions d’enquête de contraindre une personne à comparaître, sous peine de sanctions pénales, avec possibilité pour le Président de l’Assemblée de requérir la force publique.
Or, selon l’article 91 de la Constitution, le pouvoir judiciaire est seul garant des libertés.
Pour le Conseil, imposer la comparution viole la Constitution, même si la personne n’est pas mise en cause.
L’alinéa 6 de l’article 60
Le texte voté par l’Assemblée ajoutait que la déchéance d’un député pouvait intervenir en cas de sanction « entraînant la perte des droits civiques ». Une précision jugée trop éloignée de la lettre de la Constitution, qui parle uniquement de condamnation définitive.
L’alinéa 6 de l’article 111
Il imposait que toute motion de censure discutée soit soumise au vote, même si ses auteurs souhaitent se rétracter. Le Conseil a considéré que ce caractère irrévocable n’est pas prévu par l’article 86 de la Constitution.
L’article 134
Il encadre la Haute Cour de justice, mais omet le renouvellement de ses membres après chaque législature. Pour le Conseil, cela revient à modifier indirectement la Constitution, ce qui n’est pas acceptable.
Les dispositions validées sous réserve
Certains articles, comme l’alinéa 5 de l’article 56, ont été déclarés conformes, mais sous réserve d’interprétation. Sur la convocation des magistrats, l’article prévoit que des magistrats en fonction peuvent être entendus par une commission d’enquête, avec l’autorisation du ministre de la Justice. Le Conseil précise que : La comparution doit être volontaire. Le magistrat ne peut être interrogé que sur des sujets généraux, non couverts par :
le secret des délibérations
le secret de l’instruction
ou des affaires spécifiques
Aucune affaire individuelle en cours ou jugée ne peut être évoquée. Selon le Pr Meïssa Diakhate, « il ne s’agit pas d’une censure, mais d’un encadrement strict. La disposition peut être promulguée, mais à condition de respecter ces limites. »
Autres précisions importantes
Article 3 de la décision : en cas de vacance à la présidence de l’Assemblée, un vice-président doit présider l’élection d’un nouveau président. Mais il doit être désigné selon l’ordre hiérarchique prévu par la Constitution.
Considérant 29 : le vote pour répartir les sièges dans les organes de l’Assemblée doit être secret et proportionnel au poids des groupes parlementaires.
Considérant 55 : une commission d’enquête peut transmettre au procureur des faits graves, sans pour autant usurper le rôle du pouvoir judiciaire. C’est à cette condition que cette possibilité est jugée conforme.
Conclusion
La décision du Conseil constitutionnel ne rejette pas l’ensemble de la loi organique, contrairement à certaines lectures.Elle censure quelques dispositions, valide la majorité, et encadre strictement d’autres. Le Pr Diakhate conclut : « Quand le Conseil dit “conforme sous réserve”, cela signifie qu’il faut respecter les conditions posées. Ces réserves sont constructives et permettent la promulgation sans violer la Constitution. » L’Assemblée nationale peut désormais :promulguer les articles validés, retirer ceux qui sont censurés, ou amender le texte pour tenir compte des remarques du Conseil.
Elle peut aussi, si elle le souhaite, proposer une révision constitutionnelle, pour intégrer certaines des innovations souhaitées.
Diery DIAGNE