J’étais un jeune journaliste désigné par ma hiérarchie pour la couverture médiatique d’un séminaire organisé à Saly par une grande société de la place. Le temps enthousiasmant des premières sorties professionnelles appréciées comme l’appel du grand large. Un bol d’air quoi, pour mettre en pratique les principes acquis en salle. C’était cela le charme des reportages et voyages de presse. C’était, je vous dis, une belle époque où les novices respectaient les anciens et les aînés tenaient la main aux cadets pour les familiariser avec les réalités du terrain et des rédactions. La transmission assurée. Ce n’était pas le temps où un article prétendument réussi ou un élément radio ou télé était un passeport pour le star-system. Je suis très vite sorti de ma naïveté : certains « précepteurs » déclarés avaient juste aligné les années sur leur carte nationale d’identité mais n’avaient pas gagné en sagesse ou en respectabilité.
Pas du tout offensant, ce que je vous dis là. Lisez la suite ! En ces temps-là donc, deux aînés parmi les plus bavards et flemmards se sont portés volontaires pour recueillir les dossiers de presse au nom de tout le groupe. Bienveillante idée ! Et franchement, un fait devait nous mettre la puce à l’oreille, deux confrères et moi : ces « facilitateurs », hormis la session d’ouverture de ce séminaire de trois jours, avaient déserté la salle des travaux pour des virées à Mbour. Au troisième jour, le responsable de la communication de la société organisatrice s’est rapprochée de notre petit groupe d’assidus avec ce message : « Je vous ai observés durant ces trois jours. Vous êtes les seuls à avoir suivi tous les travaux. J’ai assez d’expérience pour comprendre que vous n’avez pas mandaté des gens pour demander des perdiem à votre nom ».
Stupeur ! L’homme, d’une voix calme, délivre les mots qui allaient devenir une leçon de vie : « Désormais, lorsqu’il s’agira de mandater quelqu’un, il faudra vous assurer qu’il incarne les mêmes valeurs que vous. » Ça y est, le viatique est donné. La bonne réputation constitue un trésor pour la signature comme pour le faciès. Oh, je suis en train d’évoquer un idéal à mille lieux d’une réalité parfois cruelle pour le principe de l’exemplarité ! Ce n’est pas une formalité consistant à paraître fréquentable ; c’est une obligation d’être fiable. La question est saisissante lorsque la faillite morale élit domicile chez… des élus. Là, la crise de la représentation est le fantôme de l’espoir placé en nos mandataires dans différentes instances institutionnelles, politiques, économiques, entre autres. Cette représentation est une responsabilité cruciale pour le mandant comme pour le mandataire. Elle requiert la probité morale et intellectuelle. Elle est un miroir où les deux parties retrouvent la beauté de leur âme. Aucune ombre ne corrompt la vertu. Surtout pas ! Hélas… Il faudrait simplement trouver un titre de « Maire du foncier » à certains édiles s’illustrant plus dans les scandales portant sur des terres que dans leur capacité à formuler une offre de gouvernance de proximité impactante dans des domaines vitaux.
L’agenda de leurs concitoyens passe après leur feuille de route bâtie sur des délibérations matérialisant un choix délibéré de morceler la circonscription comme un bœuf à dépecer. Marches d’indignation, échauffourées et tracts incendiaires ne suffisent pas à panser les blessures de l’amère terre des anciens. Les billets noirs et passeports de trafic se sont invités à l’Assemblée nationale, alimentant des feuilletons politico-judiciaires dégradants pour le sens et la portée du mandat acquis par la voie du suffrage universel. Je ne jette pas la pierre de manière inconsidérée, car nous avons connu une solution politique à gros bruits à travers les délégations spéciales au début du magistère de Me Wade, ou très encore très ou trop spéciales avec la fin du même magistère.
Mais il y a tout de même matière à réfléchir ! D’ailleurs, je dois à la vérité de dire que ceux et celles dont nous dénonçons les agissements sont nos frères et sœurs, moulés dans une certaine mentalité du profit « ici et maintenant ». Ils ont les mêmes qualités et certainement les mêmes tares que la plupart d’entre nous. Tenez, comment en vouloir à des candidats maires ou candidats députés lorsque des candidats imams se battent au vu et au su de tout le monde pour diriger les fidèles à l’appel de la prière ? Comment en appeler à l’unité lorsqu’au nom d’une mosquée, est accolé celui d’un groupe religieux ? Même air de bousculade autour des honneurs quand arrive l’heure d’élire un délégué de quartier. De chaudes empoignades finissant par deux drapeaux pompeusement hissés sur un mât et dans le même bled. À la devise « un peuple, un but, une foi » se substitue, dans les faits, « un quartier, deux chefs, deux ambitions ». Le roi « argent » et le tyran « prestige » ont élu domicile chez nos élus des institutions et des quartiers. La défaite de la morale au prix faible d’une boulimie de reconnaissance.