Nos yeux et nos oreilles se plaindront sans doute du spectacle mondain qui défile comme un long fleuve d’obscénités. Ce n’est pas un propos sorti du néant. Je tiens cette réflexion de la relation à ce Jour du Jugement dernier qui a peuplé notre jeunesse. « Bessoum penc » est le rendez-vous de la balance.
Un révélateur de la trajectoire des uns et des autres dans cette Vallée des larmes tant décriée pour ses leurres mais toujours adorée pour ses luxures. Ici, puisqu’il faut que quelques-uns s’indignent et condamnent pendant que d’autres zyeutent discrètement, le verdict est sans appel : chorus pour une condamnation publique du viol de la morale publique pour des âmes dévergondées ayant osé déchirer le silence des anges violés. Ça, oui ! L’impudique parade de la licence met à nu la morale publique.
Que voulez-vous ? Au pays des paravents, l’annonce d’une marche de femmes dans leur tenue d’Eve, sous le titre de « Nue/Taatu néén », choque forcément. J’exagère ? Heureusement, elles n’ont pas produit d’affiche pour cette véritable secousse suscitée au pays de l’isoloir et de la gymnastique lexicale pour nommer la vérité. Si, Si ! Impossible de tout dire au Sénégal ! Je sais. Chaque énoncé émane de son contexte social et finit par y retourner en message comestible. La prise de parole et chaque attitude révèlent une capacité à se fondre dans le moule social.
Sauf à être anticonformiste, brisant ainsi les silences convenus sur des pathologies sociales de notre époque. Le viol fait partie de cette face hideuse de notre société au même titre que cette impudeur placardée sur toutes les rues à travers des bouts de tenue, des mots salaces qui dépassent la suggestion et la grande tentation du nu qu’une exagération confond avec la coquetterie. Attention : la quasi-nudité ne justifie pas le cruel appétit des violeurs ! Cette part d’animalité révèle l’affreux instinct qui pousse à bondir carrément sur des proies souvent faciles. Défense de résister parce que, quelquefois, c’est un ticket pour le trépas.
Des victimes ont quitté ce monde sous les souillures de forcenés. Une écrivaine sénégalaise de renom, plume sans fard et respectabilité affirmée qui n’est autre que Ken Bugul, si l’on en croit Le Quotidien, a elle-même exprimé sa disponibilité à marcher nue pour dénoncer les monstres embusqués dans les demeures, au coin de la rue, les administrations ou, simplement, les transports. Elle a dû bousculer les tabous en exposant l’indicible hypocrisie de « bien-pensants », acceptant l’impudeur lorsqu’elle est tue ou privée. Cependant, il importe de se pencher sur cette folle escapade vers le nu, qui banalise celui-ci dans notre société même si, banalement, ce corps social ne l’accepte pas. Trop souvent, le nu est une tenue provoquée et voulue.
Proportionnellement au rétrécissement du tissu dont certaines ont besoin pour bien s’habiller, la décence ne se mesure même plus en mètres ou en yards. Il suffit de peu pour avoir une tenue qui détone ! Les mensurations les plus prisées par certaines de nos sœurs sont celles qui exposent des rondeurs. C’est une autre forme de publicité qui donne raison à une idée cruelle du produit d’appel. Un publiciste danois a sorti un jour cette phrase cruelle : « Si vous voulez vendre une voiture, mettez une femme à côté. Si la voiture ne se vend pas, déshabillez-la. Si elle ne se vend toujours pas, c’est que la voiture n’est pas bonne. » No comment !
La femme en elle-même est un objet de publicité. Naguère, une certaine idée du marketing disait qu’un produit adopté par la femme est facilement adopté par la famille. Il en est ainsi des magazines people achetés par des femmes ou des hommes mais lus, en fin de compte, par tout le monde. Son image se confond avec le matériel proposé à la vente, non parce qu’elle est l’utilisatrice principale dans le foyer, mais bien parce qu’elle incarne elle-même la chose au-delà du fait qu’elle est une personne. Les deux sujets de curiosité, proposés à une attirance foncièrement vénale, fusionnent en un objet de marketing. La démarche lascive se transforme en un bolide au design lisse. L’expression corporelle interprète la sensualité à l’extrême.
Quand la technologie s’en mêle, il devient possible de transformer un brin d’allumette en liane et un pied carré en orfèvre du ballon rond, seigneur de la sape ou rossignol de la chanson. Et cela devient viral ! L’explosion des médias sociaux et la peopolisation de certains supports d’informations créent un traitement très osé du corps. Nos yeux sont habitués à la nudité et nos âmes s’accommodent de cette la dérive qui n’est pas qu’une expression acceptée de « la tenue d’Adam et d’Eve » dans la nuit des temps. Erreur !
À l’état de nature, la nudité est une évidence qui ne peut heurter tout simplement parce que l’habit n’a pas la valeur de couverture. Aucune convenance n’est bafouée, aucun tabou brisé non plus. Impossible de regretter ce qu’on n’a pas connu, voyons ! Dans nos sociétés moulées dans les tenues, ce n’est pas le cas. Les temps ont changé. Le nu attire, fascine, choque et aliène les grilles de perception du physique faisant du corps une matière de marketing érotique ou exotique. Nous voici au temps du viol de l’imaginaire des cibles d’une publicité qui enjambe les bornes.