La religion est faite pour aimer Dieu, mais son dévoiement peut mener à détester l’homme. De même, le féminisme peut servir à défendre une cause légitime, mais le détournement de son but risque de produire l’effet contraire.
Mettre les femmes dans une posture où elles symbolisent le sexe faible n’aide en rien leur cause. Cela peut prendre les traits d’un machisme écœurant, tout comme ceux d’une condescendance mal placée. Cependant, placer les femmes dans un statut d’intouchables, revendiquant de régner sur la nuit des privilèges, n’aboutira pas à une aube durable. Comment comprendre que, dans certaines administrations publiques, des notes de service autorisent uniquement les femmes à terminer leur travail à 15 h durant le mois de Ramadan, tandis que leurs collègues masculins doivent poursuivre leurs tâches bien plus tard ?
La femme n’est pas la moitié de l’homme. C’est une certitude absolue. Mais elle n’est pas non plus supérieure à l’homme. C’est une certitude non aléatoire. Historiquement, la femme n’a jamais eu un rôle d’assistée dans nos sociétés traditionnelles africaines. La femme africaine symbolise la puissance : elle détenait le pouvoir ou permettait sa transmission. Dans nos contrées sénégambiennes, le matrilignage, ce système de filiation où l’ascendance maternelle prime était en vigueur. Le neveu était souvent considéré comme plus important que le fils. Dans plusieurs royaumes de Sénégambie, les femmes pouvaient accéder plus rapidement à la royauté que les hommes, alors qu’en France, la loi salique interdisait aux femmes de monter sur le trône. C’est d’ailleurs cette loi qui explique pourquoi aucune femme n’a jamais régné sur la France et la Navarre.
Au-delà de la Sénégambie, les femmes africaines n’ont jamais été reléguées au second plan comme de simples maîtresses ou objets décoratifs chargés de distraire le roi. Elles ont façonné des dynasties, fait et défait des rois, et gouverné avec autorité. L’histoire des femmes de Nder, dont on commémore ce 7 mars le douloureux sacrifice, n’est pas un passé figé dans le temps, mais un héritage vivant qui se consolide dans l’avenir. Cet épisode historique a nourri les vertus sociales sénégalaises et élevé la renommée de plusieurs générations d’hommes, bien avant le bruit utile de l’internationalisation du 8 mars. Il en est de même pour Ndatté Yalla, Yassine Boubou et Aline Sitoé. Ces princesses ont su dominer leurs sentiments pour honorer leurs devoirs. Elles font partie de celles qui ont accepté un sort qui les brimait pour le bien collectif. Ce sont des reines.
Leur héritage, empreint de courage et d’héroïsme, est nourri par les faits historiques de contemporaines comme Mariama Bâ et d’autres grandes figures. Ce substrat culturel, qui accordait une place de premier plan aux femmes, a porté au sommet des figures puissantes partout en Afrique comme la reine Nzinga au royaume du Kongo. L’expertise d’Abdoulaye-Bara Diop (1930–2020), premier sociologue sénégalais, éclaire ces faits. Selon lui, la filiation chez les Wolofs, par exemple, repose sur un système bilatéral combinant le lignage maternel (xeet ou meen) et paternel (askan ou geῆo). Le premier transmet le caractère, l’intelligence et les aptitudes mystiques, tandis que le second véhicule des valeurs sociales comme l’honneur et le courage.
Le lignage maternel est central, offrant protection et influençant le destin de l’individu. Dans bien des cultures sénégalaises, l’héritage maternel procure protection et solidarité, déterminant en partie le destin de l’individu selon l’exemplarité de sa mère. À partir des conclusions de cette analyse, certains tomberaient aujourd’hui à bras raccourcis sur Abdoulaye-Bara Diop en lui trouvant bien des failles. Ces inquisiteurs de la sainte morale oublieraient certainement qu’un homme est le produit de son époque. Une femme aussi. Notre époque demande moins de privilèges liés au genre pour plus de droits et d’égalité, sans distinction de sexe. moussa.diop@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)