Au Sénégal, il semble plus facile de trouver un filon d’or dans les entrailles des terres rocheuses de Kédougou que de mettre en place une simple boutique de vente et d’achat d’or. Pour ne pas caricaturer, disons, un Comptoir national de commercialisation de ce métal précieux qui fait fantasmer.
Une telle structure pourrait pourtant permettre d’avoir une idée précise de la production artisanale de l’or qui, depuis toujours, échappe à tout contrôle de l’État. En effet, si à travers les structures étatiques (Dcsom, Cn-Itie, Douane…), les statistiques de la production industrielle par les deux seules entreprises en activité actuellement, à savoir Endeavour à Sabodala et Pmc à Mako, ainsi que celles des importations et des exportations sont bien connues, on ne peut pas en dire autant des milliers d’onces qui sortent des diouras (fosses) de Kharakhéna, haut-lieu de l’orpaillage au Sénégal. À ce niveau, c’est un flou total sur les transactions de l’or. Niché dans le département de Saraya, à 80 kilomètres de Kédougou, à la confluence des frontières maliennes et guinéennes, la ruée vers ce métal a attiré dans ce bled des milliers de gens en provenance de ces deux pays, bien sûr, mais aussi du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, de Mauritanie, du Libéria, du Ghana et du Nigeria.
Ce melting-pot, dans une zone presque de non-droit, a favorisé l’émergence de circuits parallèles dont les tenanciers roulent sur l’or, tandis que la populace crève la dalle. Seule l’économie du sexe y tourne à 100 à l’heure. Du fait de la porosité des frontières, des quantités d’or trouvées en terre sénégalaise se retrouvent facilement en terre malienne, pays de tradition et de pratique aurifère plus importante que le Sénégal. Un trafic qui prive de précieuses redevances à l’État du Sénégal. Justement, cette situation s’explique en grande partie par l’absence de comptoirs agréés. C’est en ce sens qu’il faut peut-être comprendre l’instruction du chef de l’État donnée au Gouvernement d’œuvrer, «dans le cadre de la souveraineté sur nos ressources, à la mise en place du Comptoir commercial national de l’Or». Récemment, le Directeur général de la Somisen, Ngagne Demba Touré, a estimé les sorties frauduleuses d’or du Sénégal à 1.500 milliards de FCfa sur la période 2013-2022, soit l’équivalent d’un quart du budget du Sénégal de 2025. Arrêter cette coulée frauduleuse est devenu une nécessité.
La laisser perdurer tiendrait du paradoxe au moment où le Sénégal fait face à un déficit budgétaire à deux chiffres et multiplie les initiatives pour renflouer ses caisses. La concrétisation de cette directive présidentielle doit porter le sceau de l’urgence. Dans cette démarche, il suffit de partir de l’existant et d’avoir la main ferme. Faut-il le rappeler, à la suite des bagarres meurtrières en 2012 entre orpailleurs maliens et burkinabé, l’Etat du Sénégal avait pris l’arrêté n° 009249 du 14 juin 2013 portant organisation de l’activité d’orpaillage. Parmi les mesures phares, l’institution d’une carte d’orpailleur au profit exclusivement des Sénégalais, seuls autorisés à faire de l’orpaillage. Cette carte ne pouvait être ni cédée, ni mutée, ni amodiée sous quelle que forme que ce soit. Autre mesure, la production devait être vendue à l’état brut exclusivement à un comptoir d’achat de métaux précieux et pierres précieuses régulièrement autorisé.
Pour ce faire, il avait été décidé d’installer cinq comptoirs d’achat dans les zones aurifères. Hélas! En dehors de la carte d’orpaillage à l’époque, aucune des autres mesures n’avaient été respectées. Les étrangers continuent de dominer dans les diouras pour la simple et bonne raison qu’ils sont les plus aguerris dans la recherche de l’or; aucun comptoir officiel n’a ouvert ses portes dans la zone. En dehors de freiner les sorties frauduleuses d’or du Sénégal, la création d’un comptoir a un autre avantage : permettre aux bijoutiers sénégalais d’avoir accès à cette matière première. Il faut le souligner, pour ces derniers, dont les besoins tournent entre 100 et 200 kg par an, il serait plus facile d’en acheter dans un comptoir commercial que directement chez les sociétés aurifères en raison des contraintes fiscales. Le filon manquant à toute cette chaîne de valeur aurifère est connu. Avec un peu de volonté, tous les éléments se remettront en place. elhadjibrahima.thiam@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)