Le slogan, nous le récitons souvent pour mieux l’enfreindre : « Force reste à la loi ». C’est la sanction découlant de l’application de l’allégeance individuelle et collective à l’ordre. Toutes proportions gardées, c’est la même dette qu’un condamné paie à la société par la privation de liberté ou l’amende. La même dette de la confession publique pour obtenir le pardon des bourreaux au sein d’un tribunal communautaire appelé « gaçaca » dans des pays à peine sortis du traumatisme du génocide ou de la guerre civile. Sur ces prétoires du repentir sincère, la parole a son pesant d’or contrairement à l’utilisation des mots pour non pas se lier à son propre serment, mais lier l’intelligence de l’autre à sa propre ruse afin de mieux l’escroquer.
La parole est fossilisée par la duperie. Poussière des temps sur les sanctuaires du vivre-ensemble que sont la bienveillance, la droiture, la solidarité, la sincérité, la loyauté, etc. Il existe des gardiens du temple, mohicans ringardisés et ostracisés. L’exemplarité court vers une maison de retraite ou une cellule d’isolement. Oh, inutile de vous énerver ! Je devais le dire à voix basse, je le dis tout haut : nous avons quelquefois la foi d’un grand fauché tirant nerveusement les perles de son chapelet et psalmodiant une prière miraculeuse pour un enrichissement subit. À la prochaine rencontre avec la chance, le faux dévot faussera compagnie à la foi et à la notion périmée de la fidélité. Sans farce ! Voilà : dans cette formule du langage familier d’un autre siècle, je retrouve le souci du dire véridique de nos vertes années d’insouciants.
En culottes courtes et, déjà, à l’école de la parole gravée dans le marbre. La plus petite histoire comportait une ligne de démarcation entre le gag ou l’humour et le sérieux. « Sans farce ? », disait l’interlocuteur. Maintenant, au temps de la légèreté inamovible, cette précaution éthique reste feuille morte dans une très large mesure. Le sérieux est devenu une tare en de nombreuses occurrences. La roublardise est une vertu. Les codes sont alors inversés. Le mal est si profond que la farce fait foi. La loi, en tant que force, est chahutée dans une vulgarité très affligeante. La vie quotidienne est devenue une plaisanterie mortelle d’esprits cyniques. Dans cette jungle de l’inconduite, l’un des martyrs des dérapages sans freins est le Code de la route.
Il succombe aux envies de gymkhana de camions déchaînés. Des bolides rutilants se prennent pour des avions sur nos autoroutes et voies à grande circulation ou, pire, dans les voies secondaires ; ce qui donne du crédit à la prépondérance du facteur humain dans la hiérarchie des causes des sinistres. Un euphémisme pour nommer l’indiscipline. Nous sommes presque dix-huit millions de Sénégalais, dont une grande majorité de prêcheurs de la bonne parole qui sont, en réalité, des vecteurs du péché si mignon de transgression des règles de la bonne entente sociale. Au-delà des professions de foi, c’est une adhésion individuelle et collective à un ordre. En atteste la régularisation réussie des deux-roues abordée dans ces colonnes il y a quelques semaines. Il est facile maintenant de mettre un nom et un visage sur la cavalerie ravageuse qui infiltre les rangs de paisibles citoyens adeptes des motos et scooters. Ils étaient impliqués dans 49% des accidents en 2024 selon les chiffres de la Police et, dans l’imaginaire de nombre de nos concitoyens, dans moult agressions et vols.
Nous avançons allègrement dans le territoire de la permissivité. À chaque catastrophe, dans une poussée d’émotion aussi périssable qu’une rose le temps d’un matin, le refrain le plus usité est : « Plus jamais ça ! » Malheureusement, l’incurie pousse toujours ! L’habitude de l’incivisme consacre le triomphe de l’inacceptable. La mort ordinaire. Les larmes ordinaires. Les indignations ordinaires. Ne détournons pas le regard de l’indicible peur semée dans notre quotidien comme une graine de désolation, de violence et de deuil. Regardons ce pays balafré par les blessures de l’inconscience et de l’insolence d’un spécimen de citoyen qui n’a comme signe distinctif avec le cheval qu’une calculette au cœur et un flingue dans la cervelle. Elle est déchirée, la police d’assurance souscrite sous le sceau de la prudence et de la prévenance. Le changement est possible.
Lorsque le candidat Obama a lancé le slogan « Yes we can! », le monde était enchanté face à ce qui sonnait comme une célébration des possibles. Aujourd’hui, ce slogan est repris un peu partout. « Le Sénégal des possibles » est un élément de langage très courant. Nous devrions simplement dire : « mën na nek », pour consacrer la beauté de l’effort déchirant les ombres de l’inaction et de la fatalité. Faute de cette révolte positive, il faudrait bien que quelqu’un fasse la police pour faire déménager de notre espace public ces perturbateurs ayant signé un très long bail avec l’indiscipline. Force restera alors à la loi et farce aux hors-la-loi. Exit ces bouffons d’une sinistre histoire !