Le commérage, c’est une identité bien de chez nous. C’est pour cela que certains « observateurs » estiment que le travail de la police est trop facile ici, car comme le racontaient des « guignols » de la radio, « il y suffit seulement d’ouvrir la bouche pour que les paroles s’envolent ». On parle, on parle. Les bornes-fontaines publiques et les grands-places, nos douces et vibrantes agoras de l’époque, lieux de socialisation par excellence, n’existent plus.
La palabre maintenant, c’est sur les réseaux sociaux, surtout WhatsApp. La langue ne claque plus pour les salamalecs, papotages, controverses, médisances, petites et grandes escroqueries ; désormais, la parole est numérisée, si l’on ose dire. D’ailleurs, c’est à se demander si nos téléphones ne seront pas mis à contribution au jour du jugement dernier, car s’il est établi que nos organes de sens seront convoqués, en toute logique, ces appareils devraient l’être tout autant à cette occasion. M’enfin, Dieu reconnaîtra les siens.
Cependant, le risque est qu’avant cette échéance céleste, les procès-verbaux de nos discussions privées soient étalés sur la place publique, révélés à la face du monde, conduisant droit à l’enfer de la non-confidentialité, à la géhenne de la révélation de nos secrets. Et comme prévu, les Israéliens ne sont jamais loin dans ce genre d’affaires. Ainsi, d’anciens membres de l’unité d’élite du renseignement israélien « 8200 » ont fondé « Paragon Solutions » en 2019. Et en décembre 2024, la société américaine de capital-investissement « AE Industrial Partners » a acquis la société. Cas d’école. Un journaliste enquête sur les circuits de trafic de bois dans le nord-est du Fouladou, la zone recoupant le département de Médina Yoro Foula. Il suit les traces d’un réseau impliquant des as de la scie mécanique, des intermédiaires, leurs clients installés dans un pays voisin. Ses sources sont prudentes, ses échanges cryptés comme l’assure WhatsApp, ses conversations sur le sujet au point zéro. Mais un jour, tout bascule.
Un message anodin apparaît dans un groupe d’anciens de l’école de journalisme où il échange des informations avec d’autres condisciples. C’est un simple fichier Pdf, apparemment un rapport sur l’impact environnemental de l’orpaillage clandestin. Il ne l’ouvre même pas. Pourtant, en un instant, son téléphone est compromis. Exploitant une faille invisible de WhatsApp, un logiciel espion s’installe silencieusement. Graphite vous salue ! On connaît déjà les dégâts commis par un autre logiciel espion, Pegasus. Graphite est plus sophistiqué, capable de cibler les appareils mobiles sans aucune interaction de la part de l’utilisateur. Une fois installé, il peut extraire un large éventail de données, notamment des contacts, des e-mails, des informations de localisation, des messages, des photos et des vidéos. Plusieurs réseaux de veille numérique et de cyber-surveillance ont révélé la semaine dernière son déploiement, affectant des journalistes et des membres de la société civile dans plusieurs pays. On ne l’a pas encore signalé dans nos espaces, mais la « qualité » première de ces mouchards est leur discrétion.
Contrairement aux logiciels malveillants traditionnels qui nécessitent de cliquer sur un lien ou d’ouvrir une pièce jointe, Graphite tire parti des failles de sécurité des systèmes d’exploitation mobiles ou des applications populaires. Il est aussi silencieux, propagé via des fichiers Pdf. Il s’exécute ensuite en arrière-plan, extrayant des données telles que les appels, la localisation, les messages et les photos. Il peut également intercepter les communications. WhatsApp utilise le cryptage de bout en bout, garantissant que les messages sont cryptés sur l’appareil de l’expéditeur et uniquement décryptés sur celui du destinataire. Plutôt que de casser le cryptage, Graphite le contourne en accédant aux messages avant le cryptage ou après le décryptage, expliquent des informaticiens. Il profite des vulnérabilités du système d’exploitation de votre téléphone pour obtenir un accès approfondi. Cela lui permet de surveiller les données avant le chiffrement ou après le déchiffrement. Tout le monde est averti ! À l’heure des logiciels espions, notre parole digitale mérite peut-être un peu plus de retenue. Car si avant, les murs avaient des oreilles, aujourd’hui, ce sont les téléphones qui ont des yeux, une mémoire, et parfois… un mouchard en embuscade. Il serait temps que notre verbe, si prompt à jaillir, apprenne à chuchoter — ou du moins, à se méfier de l’écho numérique. samboudian.kamara@lesoleil.sn