Dans « Guerre et paix », un chef-d’œuvre littéraire qui transcende les époques, l’immense écrivain russe Léon Tolstoï laisse à la postérité une peinture sociale et idéologique inégalée de la Russie du 19e siècle et ce qu’il est convenu d’appeler « l’âme russe ». Le titre de l’ouvrage fait allusion à deux penchants contradictoires de l’humain : d’un côté son désir naturel de paix et son penchant pour la guerre.
Par ces temps, il est beaucoup question de paix, notamment au Proche-Orient. Après deux années d’une guerre dévastatrice dans la bande de Gaza, Israël et le Hamas ont signé, le 9 octobre, sous l’égide des États-Unis, un cessez-le-feu assorti d’une libération des otages encore retenus par le mouvement palestinien. Ce dénouement, obtenu après une forte pression de Donald Trump sur les deux parties en conflit, faisait espérer au président américain l’obtention du prix Nobel de la paix. Mais le comité Nobel n’a visiblement pas été convaincu. En distinguant la cheffe de l’opposition vénézuélienne, Maria Corina Machado, pour sa lutte « infatigable » en faveur de la démocratie au Venezuela, les membres du jury n’ont pas cédé à la manipulation. Ce dénouement est une immense déception pour le président américain qui espérait tant recevoir ce prix, se vantant d’avoir mis fin à huit guerres. Née durant son premier mandat, l’obsession de Donald Trump pour le prix Nobel de la paix n’a fait que croître depuis son retour au pouvoir en janvier. La Maison-Blanche a ainsi accusé le comité du prix Nobel de privilégier la « politique avant la paix ».
Il est heureux que le comité Nobel ne soit pas tombé dans la manipulation. Après avoir donné carte blanche à son ami, le Premier ministre israélien Benjamin Netannyahou, pour continuer, pendant un an, le génocide à Gaza, Trump, fidèle à sa manière, a brutalement décrété la « paix au Moyen-Orient ». Évidemment, on ne peut que saluer la fin des hostilités tant la souffrance des Palestiniens – mais aussi des familles des otages israéliens – était devenue insoutenable. Je crois sincèrement Donald Trump quand il dit qu’il n’aime pas la guerre et souhaite mettre fin à l’effusion de sang dans le monde. Mais il ne faut pas être naïf au point de le considérer comme une colombe. Les présidents des États-Unis ont de tout temps été confrontés au puissant lobby pro-guerre. Trump a aussi l’avantage de dire les choses sans filtre. Il est déterminé à mettre en œuvre son slogan de campagne : « L’Amérique d’abord ».
Et puis, le fait de voir sa candidature être parrainée par Benjamin Netanyahou, un criminel de guerre poursuivi par la Cour pénale internationale (Cpi), était un handicap dès le départ. Sans être dans le secret des délibérations, on peut supposer que le comité Nobel a également tiré l’expérience avec Barak Obama. Après le fameux discours du Caire (2009), il a fait le pari qu’en lui attribuant ce prestigieux prix, cela allait l’encourager à œuvrer pour la paix, surtout au Proche-Orient. Or, le Nobel de la paix n’a pas fondamentalement pesé sur les choix du premier président noir des États-Unis en matière de politique étrangère. Les assassinats ciblés et extra-judiciaires avaient continué et s’étaient même intensifiés contre les ennemis de l’Amérique. Et surtout, Obama s’était par la suite montré totalement impuissant sur le dossier du conflit israélo-palestinien. On se souvient du mépris avec lequel Netanyahou avait accueilli l’initiative de son Secrétaire d’État d’alors John Kerry.
Je suppose que la situation sera différente avec Trump, compte tenu de sa personnalité, mais surtout de ses liens particuliers avec le Premier ministre israélien, qui le considère comme le « meilleur ami qu’Israël a eu à la Maison-Blanche ». Mais, pour en revenir à la paix, rien n’est acquis d’avance. On ne le dira jamais assez : le nœud du problème reste la négation du droit des Palestiniens à disposer d’un État aux frontières sûres et reconnues. Or, en s’opposant farouchement à cette perspective, l’actuel gouvernement israélien ne se montre pas disposé à une véritable paix avec ses voisins, mais à imposer une « pax hebraica ». Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le contexte actuel offre une réelle perspective de paix au Proche-Orient. En concrétisant cet espoir, Trump mériterait enfin le prix Nobel de la paix.
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