Le lieu choisi est symbolique (Richard-Toll, sur le pont-vanne qui enjambe la Taouey, la mythique rivière ou ce qui reste) et, énormes, les espoirs suscités par la toute aussi solennelle déclaration, faite par l’autorité, ce jour-là. La substance de cette annonce est dans la titraille de notre journal qui, à la « une » de son édition du lundi 9 décembre, écrit : « Accès à l’eau des villages autour du Lac de Guiers. Comment l’Etat va corriger le paradoxe ».
A Richard-Toll, comme presque partout dans les villages autour du Lac de Guiers, le creusement du canal de Taouey et la construction des barrages, en 1985, avaient suscité beaucoup d’espoirs. Aujourd’hui, la désillusion semble avoir cédé à ces espoirs nourris… Ils sont des milliers d’âmes, dans les villages aux pourtours du lac, à vivre, au quotidien, les affres de leur présence sur ces sites gorgés d’eau où, très paradoxalement, trouver la bonne eau à boire est une véritable corvée…Réminiscences de témoignages entendus et récits de scènes vécues. Pakh, village sur cette rive occidentale du lac chargé de toute l’histoire de ce « royaume amphibie » du Waalo dont parlait l’autre…
Difficile au regard d’éviter ces mares immenses, reliques de ce que la digue de Pakh amochée séparait en plusieurs parcelles distinctes. Ce qui reste de cette biomasse composite et en état de putréfaction avancée, donne difficilement à croire que, sur ce casier rizicole, les cultures ont été très bonnes et les récoltes abondantes pour le plus grand bonheur des gens des villages de l’ancien Colonat. L’espace ressemble à une marée de salure où, sous un soleil de feu, bout la mixture informe de typha. Il ne constitue qu’une infime partie des plus de 500 ha de terres à jamais perdues du fait essentiellement de la salinisation subséquente à l’assèchement de la vallée et aux eaux usées déversées dans le lac. Le rivage sur le site est obstrué par les herbes sauvages dont les plus courtes dépassaient d’un cran la taille d’un homme. L’accès au lac est entravé par la forte végétation aquatique faite d’un conglomérat d’autres espèces comme le nénuphar tapissant le plan d’eau sur des dizaines de mètres carrés.
Plante invasive parmi d’autres le typha est partout massivement présent, contribuant ainsi à la prolifération des moustiques, s’il n’est pas le seul agent. Sans compter ce qu’en dit ce témoin : « Nous pêcheurs, nous ne pouvons pas l’enjamber pour aller chercher ce poisson qui depuis la nuit des temps est notre nourriture ». Sur l’île de Diokhior, à quelques kilomètres en aval, le sort des populations n’était en rien plus enviable. Comme à Pakh, trouver une eau potable est aussi pénible pour ce village insulaire auquel on accède par ces simulacres de routes qui forment le complexe des deux digues-pistes (Naere et Diokhor), le long du chemin sur Gnith (la station de pompage de l’ancienne SDE), conduisant à Thiékène. « Dans cette île, l’eau potable coulant dans les tuyaux passe sous les pieds des populations.
Et pourtant, si elles ne meurent pas de soif, ce sont alors des maladies d’origine hydrique (comme la bilharziose ou le paludisme) qui font des ravages dans cette zone dont elles mourront. Car la seule source d’eau à laquelle ces populations accèdent c’est celle du lac, alors que celle-ci est infecte et inapte à la consommation. » nous confia, la mort dans l’âme, un notable de ce village dont la berge est submergée par l’immense futaie de typha. « Il n’y a pas d’autre voie de salut pour nos parents et enfants dont la plupart meurent de ces maladies que draine cette eau inapte à la consommation » entend-on, comme un leitmotiv, partout dans les villages de Diokhior, Tiéckène, Dialang ou Keur Beydi Sow. Où aucun, ne disposait, nous disait-on à l’époque, « de cette eau potable qui coule, sous (leurs) pieds, dans ces tubes enfouis qui vont alimenter Dakar la capitale ».
Enclavement, eau potable improbable, problèmes nombreux de santé consécutifs à la consommation de l’eau infecte en provenance de ce lac qui leur est interdit… Pour ces originaires du Guiers, non seulement l’espoir né de la construction jadis, de ces ouvrages hydrauliques est aujourd’hui ruiné ; mais ils vivent les déséquilibres écologiques occasionnés avec un profond sentiment de malaise économique, social, culturel et mental, synonyme, pour nombre d’entre eux, de quasi-mort sociale et de pertes de repères.
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)