Indexées pendant longtemps comme source de vice et d’oisiveté, les activités culturelles ont souffert de cette condamnation morale les reléguant au rang de futilités – sous nos cieux on parlerait de « thiakhane » – qui détournent l’individu de l’essentiel, à savoir la religion, le travail.
Cette perception négative a occulté la dimension économique de la culture. Avec le temps a surgi le concept d’industrie culturelle et créative (Icc), qui renvoie à des secteurs d’activité dont le but principal est la création, la production, le développement, la reproduction, la promotion, la commercialisation de biens, de services et activités qui ont un contenu culturel, artistique et patrimonial. Les Icc englobent 10 secteurs : l’architecture, les livres, la presse, l’audiovisuel, la radio, la publicité, les jeux vidéo, la musique, les arts du spectacle et les arts visuels. À l’ère du tout numérique, qui a démultiplié leur pouvoir de stimulation de la création d’emplois, les Icc ont pris du poids jusqu’à peser, selon une étude de l’Unesco, 2.250 milliards de dollars, soit 3 % du produit intérieur brut (Pib) mondial (un taux qui peut atteindre 10 % dans certains pays) et employer 29,5 millions de personnes équivalant à 1 % de la population active.
L’étude intitulée « Les industries culturelles et créatives dans le monde à l’heure du numérique », publiée en juin 2021, révèle d’énormes disparités : l’Asie-Pacifique se taille la part du lion avec 743 milliards de dollars des revenus générés, 12,7 millions des emplois créés, suivie de l’Europe (709 milliards de dollars de revenus et 7,7 millions d’emplois). L’Afrique et le Moyen-Orient réunis pèsent 58 milliards de dollars de revenus et 2,4 millions d’emplois. On constate donc que l’apport des secteurs culturel et créatif reflète, plus ou moins, le niveau de développement des différentes régions du monde. Mais au-delà des revenus générés et des emplois créés, le secteur est au cœur de multiples enjeux, liés à la portée de ses produits qui sont le meilleur véhicule pour exporter une culture à l’échelle mondiale, à travers les idées, les valeurs morales et esthétiques, les opinions, les informations, les symboles, les messages, etc.
En pleine guerre froide, la quête d’une hégémonie culturelle occidentale, à travers la communication et l’information, était au cœur du bras de fer entre les États-Unis et le directeur général de l’Unesco d’alors Amadou Mahtar Mbow, chantre d’un Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic) plus juste. Cela s’était soldé par le retrait des Américains de l’organisation onusienne, en 1984, et du Royaume-Uni en 1985. Quarante ans après, le débat reste entier, les plus forts s’évertuant à imposer leur idéologie aux plus faibles à travers la production littéraire, cinématographique, médiatique… L’arrivée du numérique n’a fait que conforter la domination du marché par les États-Unis, l’Europe, la Chine et le Japon. Dans ce village planétaire qu’est le monde, l’Afrique reçoit plus qu’elle ne donne du fait de sa faible connexion au reste du monde et de l’insuffisance de son offre en termes de contenus.
Cependant, on note une montée en puissance du business de l’art et de la culture africains porté par la production cinématographique (Nollywood), la musique qui s’exporte bien à l’international. Mais cette percée ne doit pas masquer le potentiel non exploité qui se morfond dans l’informel par manque d’accompagnement public ou d’investissements privés. En effet, nos États consacrent en moyenne entre 0,3 % et 0,4 % de leurs budgets à la culture. L’innovation technologique grâce au digital peut aider le continent à résorber le gap qui le sépare du reste du monde. Mais il ne s’agit pas de se contenter de stratégies nationales pour faire face, « il faut, conseille Eros Sana du Cglu Afrique, constituer des synergies qui permettront aux Africains de négocier sur le grand marché mondial des industries culturelles et créatives face aux mastodontes que sont par exemple Netflix, Apple et autres ». Avec son riche patrimoine et le pouvoir créatif de sa jeunesse, notre continent dispose d’une mine d’or pour assurer sa renaissance culturelle et sa transformation économique à l’ère de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). malick.ciss@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)