Le Sénégal serait donc devenu à grand arbre à palabres. La vertu en moins ! Ces espaces d’échanges ont consolidé notre vivre-ensemble dans la longue tradition des échanges et du partage des bons et mauvais moments en communauté.
La place publique a été un lieu de socialisation et un véhicule de valeurs. Elle a été un espace de solidarité dans le sens de la prise en charge des joies et des peines. Maintenant, le grand-place a changé de nature, à cause de l’influence négative de l’argent et de la médisance. Il est le frère aîné du baby-foot et des jeux électroniques. Dès que la mise s’est invitée dans cet espace de fraternité, la bienveillance en est sortie. Les retrouvailles autour du damier et des cartes sont devenues un vulgaire jeu d’intérêts. L’habitude de la vulgarité ordinaire habite la rue et conquiert les médias. Les insultes peuplent différentes séries télévisées. Sans filtre, dans une sorte de course à l’audimat menant inéluctablement à des dérapages. Au-delà de ces séries, le lexique dans notre espace public est celui du ring ou des arènes.
Ça cogne sans concession. Ça invective. Le niveau du débat ne décolle pas au-dessus des bassesses. L’argumentaire renvoie simplement à confondre, ou pis, à mettre à nu l’honorabilité du vis-à-vis. Plus la charge est dure, mieux elle soulage les nouveaux cyniques du petit écran ! La terreur de cette impudique gestion des contradictions éloigne de belles âmes des plateaux. Des sachants se taisent pendant que des haut-parleurs excellent dans la vocifération triomphaliste et prennent place dans nos salons. Ils sont rompus à l’art de blesser les âmes sensibles avec de fausses théories d’une maîtrise miraculeuse de l’art de la communication. Ils sont mêmes coachs, disent-ils ! Dans ce grand-place radiotélévisé sans normes, il y a un espace pour des comédiens dont l’intelligence est fermée au sens de l’humour. Ils n’en ont pas le génie. En plus des talk-shows, une certaine revue de presse vampirise l’information. Elle rudoie des cibles sans défense, les invective et les tourne en dérision. L’information ? Diluée dans la théâtralisation !
L’insulte est devenue un métier, le salut de beaucoup de bannis d’un système d’acquisition de valeurs professionnelles. La rue envoie ses nouveaux héros dans les médias, théorisant de manière sournoise la fin du journalisme classique avec l’avènement des réseaux sociaux. Le droit de l’information, l’éthique et la déontologie ne constituent plus la boussole professionnelle depuis que des esprits non avertis ont théorisé le triomphe d’un génie spontané. Ils ne sont ni juges ni avocats. Ils sont Zorro, des justiciers à la langue-épée fatale. Et il y a une demande, malheureusement, parce qu’ils sont suivis, très suivis. Sans cela, ils n’auraient pas été ! Le public ne sanctionne pas ses nouveaux héros en s’en détournant. Disons-nous la vérité : tout malade connaît la différence entre la cisaille du forgeron et le bistouri du chirurgien et depuis que le monde est monde, on n’a jamais vu un patient se présenter à la forge pour une intervention chirurgicale. Ne feignons pas la surprise ! Le feu de brousse a commencé par une brindille mal circonscrite. Les délateurs, inquisiteurs et affabulateurs s’autoproclament « journalistes d’investigation ».
Le b-a ba de l’enquête ? Pas nécessaire ! On confond « investigation » et « voyeurisme », « analyse » et spéculation », « information » et « supputation » ou « rumeur ». Pour épater son monde, il faut faire des révélations sur autrui, faire des déductions faciles et rapporter une discussion privée. C’est le temps du mystificateur bavard. C’est sidérant lorsque des professionnels s’y mettent ! Leur responsabilité est de faire croire à « Monsieur Tout le monde » que le métier est facile parce qu’il faut conjuguer le verbe « parler » à tous les temps ! Silence, nous sommes à l’académie d’une grande imposture. Dans ces conditions, intervient une dilution de compétences dans le grand océan des prétentions. Les médias représentent une instance consacrant une plus grande ouverture de l’espace démocratique. Il importe cependant de s’accorder sur les modalités d’exercice de certains métiers afin que l’honorabilité des autres citoyens soit sauve.
Au-delà des journalistes ayant eu dans leur cursus des modules de droit de la presse, d’éthique et de déontologie, il serait indiqué de proposer un cadre éthique aux autres intervenants comme les animateurs, les « chroniqueurs », etc. Hélas, l’une des plus grandes influences des réseaux sociaux reste l’outrage et l’extravagance. Je ne crois pas à la crise du journalisme même s’il faut reconnaître l’existence d’un journalisme défaillant. Il y a plutôt la crise d’une certaine culture des médias tendant à en faire un grand-place ou une borne-fontaine. « Influenceurs » et « chroniqueurs » auraient, à vrai dire, pu s’éviter beaucoup de convocations s’ils étaient imprégnés des critères de sélection, de traitement et de diffusion de l’information. Au-delà de cette régulation par le droit, une auto-régulation par la morale professionnelle éviterait que des enfants, en regardant certaines productions, puissent en être amenés à répéter à leurs oncles et tantes : « Gros mot ! » Alors, ne laissons pas ces anges, en grandissant, croire que les insanités sont devenues l’arme miraculeuse pour accéder à la célébrité. La gloriole sur les cendres de l’honorabilité des autres et de la responsabilité.