Un tour chez les vendeurs de journaux. Un confrère de la Radio télédiffusion sénégalaise (Rts) a promené sa caméra dans les rues de Dakar à la rencontre de ces hommes et femmes dont la journée de travail commence avant six heures du matin. L’élément a été diffusé, lundi 10 mars, dans le journal de 20 heures. Images à la fois révélatrices et saisissantes. Peu de kiosques. Beaucoup de marchands ambulants.
On y voit des jeunes. Des adultes. Il y a aussi d’admirables dames, rivalisant d’ardeur et d’enthousiasme. Points communs de tous ces passionnés : ils ont l’air fatigué, soucieux et triste. Immergés dans la misère et le désespoir. « Ce n’est plus comme avant. Franchement, ça ne va pas. Le secteur n’est plus rentable », témoigne une vendeuse, assise sur un petit tabouret. Sur sa table, une trentaine de quotidiens. « On arrivait à s’en sortir. Mais maintenant, peu sont les gens qui viennent se procurer un journal », renchérit la dame qui s’empresse d’ajouter : « Si je trouve quelque chose d’autre, j’abandonne ce métier ». Ce qui est également vrai, et le reportage l’a bien souligné, les tabloïds sont introuvables dans plusieurs quartiers de la capitale. Conséquence d’une distribution défaillante. Et là où ils sont accessibles, ils ne trouvent malheureusement pas d’acheteurs. Voilà en un et mille mots les raisons qui expliquent le calvaire des marchands de journaux et qui sont bien ressortis dans le reportage de notre confrère de la chaine publique. O tempora ! o mores ! (Autres temps, autres mœurs). Finies donc les journées fructueuses pour ces marchands de nouvelles.
Fini ce temps qui semble si lointain où les crieurs faisaient le pied de grue devant les imprimeries attendant que le tirage se termine. Finie l’époque où les changements de gouvernement, les catastrophes ou les crimes passionnels pouvaient multiplier les ventes habituelles. La métamorphose est ainsi complète. À l’origine de ce chamboulement, de tous ces changements, il y a bien évidemment l’Internet et les réseaux sociaux. Beaucoup de gens, notamment les jeunes, ne sentent plus le besoin d’aller acheter un journal. La lecture, reléguée au second plan, a perdu son rôle d’accès à la culture et à la citoyenneté. Au profit des nouvelles technologies. Façonnées et adaptées aux besoins des jeunes. Un simple clic suffit désormais pour accéder à toutes sortes d’informations.
À cela s’ajoute la désorganisation du secteur qui ne favorise pas une bonne diffusion du journal. Preuve dramatique de cette désorganisation : les journaux en version Pdf se retrouvent tous dans des plateformes numériques et autres groupes WhatsApp avant 6 heures. Lus et commentés bien avant le lever du soleil. Qui trouvera donc intérêt à se rendre chez le kiosquier ? La réponse coule de source. Peu de gens. Le reste est une question de bons sens : moins de vente veut dire moins de gains pour les kiosquiers qui se retrouvent ainsi structurellement dans la galère. Et pour ne rien arranger, le patronat de presse se montre véritablement insensible à la situation de ces collaborateurs précaires. Un manque d’intérêt incompréhensible mais qui s’explique : au Sénégal, un quotidien est d’abord un outil de pression avant d’être autre chose.
Qu’il marche ou pas, c’est le dernier souci du patron. Qui se sert très souvent du « journal pression » pour fructifier son investissement dans d’autres secteurs plus rentables. Voilà pourquoi, malgré les difficultés, les déficits structurels, l’étroitesse du marché publicitaire, notre pays enregistre tous les jours de nouveaux quotidiens. De qualité moindre. Sans valeur ajoutée du point de vue informationnel. Et qui ont paradoxalement un seul et unique mérite : celui de repousser les peu de lecteurs encore fidèles au rendez-vous matinal. Tous sont impactés. À commencer par les journalistes. Mais la principale victime de ce désordre se trouve être le fragile kiosquier qui doit aussi faire face à une autre arme autrement plus dévastatrice : le tout digital. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)