Le débat autour de la dette, à la lumière des révélations du dernier rapport de la Cour des comptes, souligne en creux l’échec d’un modèle de développement basé sur les financements extérieurs. Certes, aucun pays ne peut se passer de la dette, mais celle-ci doit être maitrisée, viable.
À l’échelle d’un individu comme à l’échelle d’un pays, il n’est pas sage de vivre au dessus de ses moyens. Ces dernières années, les pays africains, désireux de rattraper leur retard, ont succombé à la tentation de l’argent facile sur les marchés financiers, s’enfermant progressivement dans le piège de la dette. Le développement calqué sur le modèle occidental s’est érigé en norme indiscutable du progrès des sociétés humaines en inscrivant leur marche dans une perspective évolutionniste, linéaire, niant la diversité des trajectoires, ainsi que celle des modalités de réponse aux défis qui se posent à elle.
Comme le souligne Felwine Sarr dans son ouvrage « Afrotopia » (Philippe Rey, 2016, 155 p.), le développement est une tentative d’universaliser une entreprise qui a trouvé en Occident son origine et son degré de réalisation le plus abouti. « Il est d’abord l’expression d’une pensée qui a rationalisé le monde avant de posséder les moyens de le transformer », constate Sarr. Cette vision évolutionniste et rationalisante qui pose les sociétés occidentales comme unique référence, disqualifiant du même coup les autres modèles, ne tient pas compte de la complexité des sociétés humaines. Or, le développement n’est pas une course olympique.
Autrement dit, tous les pays ne sont pas obligés de suivre le même modèle. Chaque société a son propre métabolisme, sa propre trajectoire. Le même modèle ne saurait opérer partout. Il n’y a pas de recette miracle qui, par magie, produit partout le même résultat. Pour n’avoir pas compris cette complexité, toutes les politiques de développement de l’Afrique inspirées de l’extérieur se sont jusque-là soldées par un échec. Le fiasco des politiques d’ajustement structurel s’explique ainsi par des « résistances par le haut » (rapport E. Berg 1990).
Le même constat peut être observé sur les tentatives de réformes du secteur informel dont les propriétaires diffusent une « baolbaolisation » de l’économie échappant ainsi à tout contrôle de l’État « organisateur du bonheur public » (Momar-Coumba Diop). Toutes ces politiques, internes comme externes, souffrent d’un manque de prise sur un réel complexe. Elles souffrent de ce que Felwine Sarr appelle un « biais quantophrénique » : cette obsession de vouloir tout dénombrer, évaluer, quantifier, mettre en équations. Cette volonté de résumer les dynamiques sociales en des indicateurs censés refléter leur évolution a montré ses limites, y compris dans les pays dits développés.
Il s’y ajoute, dans le contexte sénégalais, le fait qu’on a une croissance extravertie. C’est pourquoi, il y a des tentatives de faire remplacer le Produit intérieur brut (Pib) par un autre indicateur plus proche de la vie individuelle et sociale, le Bonheur national brut (Bnb). « La vie ne se mesure pas à l’écuelle, elle est une expérience et non une performance » (Sarr). Qu’on se le dise, il ne s’agit pas de remettre en cause l’idée de progrès comprise dans le sens d’une amélioration des conditions de vie des populations. Manger, se soigner, aller à l’école, être en sécurité… sont des besoins vitaux pour toute société humaine. Il s’agit de rompre avec un modèle de développement qui, depuis les indépendances, n’a pas réussi à tenir sa promesse de prospérité pour les pays pauvres.
Depuis les années 1960, rares sont les pays à faibles revenus à sortir de cette catégorie pour rejoindre celle des pays à forts revenus. Malgré cet échec cuisant du « développementalisme », les pays qui s’étaient engagés dans cette voie n’ont pas eu le courage de tenter autre chose. Pourtant, avec la crise climatique, le retour au protectionnisme et la crise de la dette, l’Afrique gagnerait à réfléchir sur un modèle alternatif, plus durable et moins exposé aux chocs exogènes ou aux desiderata des bailleurs. Bref, oser une économie du bien-être au lieu de se lancer dans une course au rattrapage de l’Occident sur un modèle calqué sur les intérêts de celui-ci. Les leçons de la Covid-19 sont là pour rappeler l’urgence.
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