«Dormir sur la natte des autres c’est comme si l’on dormait par terre » dit un proverbe africain. Visiblement, les dirigeants africains n’avaient pas assimilé cette vieille sagesse. La suspension de l’aide américaine et le quasi-démantèlement de l’Usaid sous l’impulsion du milliardaire Elon Musk sont une douloureuse leçon de rappel.
Cette décision aussi brutale que spectaculaire a créé un choc dans le monde de l’humanitaire et « met en péril des millions de vies dans le monde », selon l’ex-cheffe de cette agence, Samantha Power. Elle vient surtout nous rappeler combien il est précaire de dépendre de l’aide des autres pour des services aussi essentiels que l’éducation et la santé. Elle met également à nu la fragilité de nos pays si l’on sait que même la première puissance du continent, l’Afrique du Sud, était très dépendante de cette aide notamment dans la lutte contre le Sida. Après l’humanitaire, certains analystes anticipent déjà des coupes dans les institutions multilatérales. Trump a déjà retiré les États-Unis de l’Oms et pourrait en faire de même pour d’autres institutions multilatérales.
Cette situation, combinée au durcissement des conditions financières internationales, dans un contexte d’endettement élevé, augure des lendemains difficiles pour l’Afrique. À la lumière de ces développements, il convient de s’interroger sur la finalité de l’aide au développement. La finalité était-elle véritablement de sortir des millions de personnes de la pauvreté ? Il est permis d’en douter. Sinon il aurait fallu un véritable plan Marshall pour l’Afrique. Il faut croire que le but véritable était de maintenir ces pays dans l’assistanat, une sorte de mendicité institutionnalisée, tout en imposant discrètement l’agenda des pays donateurs.
C’est ce qu’il faut lire, entre les lignes, sur la réaction de Samantha Power qui considère que le démantèlement de l’Usaid constitue « l’une des pires et plus coûteuses bourdes de politique étrangère de l’histoire américaine », parce que cette décision « compromet gravement notre sécurité nationale et influence dans le monde ». Le chef de la diplomatie britannique David Lammy s’est également dit « inquiet » de la possibilité que la Chine ou d’autres pays profitent du désengagement américain. Ces réactions mettent en lumière un fait : l’aide comme une arme de dépendance et de domination pernicieuse. On comprend dès lors que la finalité de l’aide n’est pas d’assurer le développement de nos pays, encore moins de vaincre la pauvreté. La finalité véritable, et cela tous les esprits éclairés le savent, c’est de maintenir l’influence des pays donateurs et de défendre leurs intérêts.
C’est pourquoi des intellectuels africains n’ont cessé de critiquer cette « fabrique de la pauvreté institutionnalisée » par les bureaucraties multilatérales et bilatérales. Cette sorte de « globalisme géré par des bureaucrates » qui fonctionnent en mode pilotage automatique, n’a pas réussi, il faut le constater, à réduire la pauvreté dans le monde, tout en enrichissant des hommes d’affaires. Comme le dit le célèbre historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo (1922-2006), « on ne développe pas, on se développe ». Continuer de dépendre des concours extérieurs a été un piège fatal tendu à nos gouvernements successifs depuis le début des années 80 avec les programmes d’ajustement structurel. En acceptant le piège d’une mendicité institutionnalisée, ils ont aliéné leur souveraineté, tout en décourageant l’investissement à cause de la corruption et la mal gouvernance.
Il était donc temps de sortir de ce piège à l’heure où certains régimes africains souverainistes clament leur désir d’autonomie. Le coup de force trumpien n’a fait donc qu’accélérer le changement. Cependant, la souveraineté ne se décrète pas, elle s’acquiert. Et la véritable souveraineté, elle est économique. Il ne s’agit pas de clamer une fierté mal placée si on est incapable de satisfaire les besoins élémentaires de son peuple. Il ne s’agit pas non plus de changer de maître. Encore moins de vouloir vivre en autarcie. L’intelligence voudrait que l’Afrique parle et coopère avec tout le monde, tout en ayant pleinement conscience que les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. C’est ainsi qu’elle pourra travailler méthodiquement à acquérir son autonomie..
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