Le refrain est connu des teenagers des années 1980, 1990… « Welcome to the Hôtel California… » L’envol des mélodies et une poussée de splendeur sous la magie du groupe « Eagles ». Étudiants, ce tube nous a fait vibrer sous l’invite qui laisse rêveur : « Such a lovely place » (quel bel endroit ! Nous consacrions quelques sous de la maigre bourse à l’achat de coffrets. La nostalgie chevauche le temps à rebours de l’aiguille d’une montre.
Ça remonte dans la machine à souvenirs sans dompter cette aiguille qui tourne de manière infaillible. Pourquoi d’ailleurs sortir du passé lorsque le présent nous sert des attaques dans les palaces, maisons d’hôtes et domiciles privés ? De véritables escadrons de la mort comme on pensait qu’il n’y en avait que dans les films. À cela, je préfère, ce matin, un tableau de maître avec des figures en chair et en os. Je préfère donc cette image des dames qui prennent soin de nos rues pendant que le soleil, avant lequel elles se sont levées, est au zénith. Pas aigries pour un sou et pas flemmardes pour tout l’or du monde, elles prennent volontiers le prix de l’eau fraîche. Un encouragement à ces braves techniciennes de surface.
Sur d’autres sites, ce sont les « Porter, Madame » qui, sur le trottoir, récupèrent de longs trajets derrière leur pousse-pousse juste pour le prix d’un sandwich du « goorgoorlu ». Pauvres, vous dites ? Qu’est-ce qu’ils sont riches de leur dignité et de leur abnégation à toute épreuve ! Le « way of life » ou mode de vie du paysan qui « creuse, fouille, bêche et laboure » (sage formule de La Fontaine) ne fait plus recette. Ringard come principe de vie, aussi ringard que la houe et la daba, diront certains esprits convertis à la religion de l’avoir à tout prix. Maintenant, place au temps du « door marteau ».
Dur à lire, n’est-ce pas ? Cela rappelle l’enclume pour un ensemble de stratagèmes échafaudés pour soutirer de l’argent. Rien qu’un braquage prétendument civilisé dans lequel la langue est le fusil et le mensonge le venin. Désarmant que souvent, cela fasse plus rigoler que de créer un choc. Un fainéant se paie la tête d’un honnête homme ou dame sans coup férir. Le coup suscite une franche moquerie sur le sort du pigeon. L’indignation collective se perd dans la calculette et les signes extérieurs de richesse.
La victime passe pour coupable. Coupable de naïveté. Le bourreau est célébré comme un as d’une ingénierie financière qui a pour noms l’extorsion de fonds, l’escroquerie et l’abus de confiance. Exit l’éthique, gloire à l’arithmétique dans un cynisme ahurissant. C’est la comptabilité des monstres froids qui tétanise les paisibles citoyens aux portes des distributeurs automatiques d’argent. Les guichets automatiques de la peur crachent des larmes et du sang, plongeant dans le deuil et la misère des familles qui avaient pour seul objectif la construction de l’agenda de leur quiétude. Pas grave ? Oh, que si ! « Door marteau » est la version « légalisée » du vol à l’arraché ou du braquage.
Et il y a plus grave, dans cette folie ! Pas parano pour un sou, je confesse que je ne suis pas différent de ces milliers de personnes dont les yeux sont devenus des radars dans la rue. Yeux cherchant quelque gueux tendant une embuscade pour quelques francs. Chacun s’accroche à l’espoir de ne point croiser le couteau fatal porté par une âme morte depuis belle lurette parce qu’incapable de pitié ou de remords. Certains par les jambes alertes, d’autres par un SOS, d’autres encore pour quelques coups de poing dérisoires face au coupe-coupe ou n’importe quel objet contondant.
La peur est dans le camp des justes. Voyez comment les menuisiers métalliques font de belles affaires lorsque la rue devient le déversoir de la colère des jeunes prétendument indignés (qui agressent) aux côtés des vrais indignés de la République (qui se barricadent). Les malfrats (s’en)volent parce qu’ils sont sous l’emprise de quelque cocktail euphorisant décrit en un « gloukh… gloukh… », une onomatopée faisant couler la lucidité comme un navire contre un récif. Ils volent parce que, dans les vapes, ils promènent, sans vergogne, leur main sur le patrimoine d’autrui. La loi du nombre ne joue plus même dans le cas de figure si ahurissant d’un malfrat contre dix ou vingt honnêtes gens.
Chacun cherche à sauver sa peau, pour en dire peu. De là en entonner « ma lâcheté retrouvée » du volcanique Césaire, il y a un cri de dépit qui ne me tente pas. Je préfère siffloter, poursuivre ma route et prier de ne pas rencontrer la meute sur mon chemin. Alors là, c’est « simole », une tornade de malfrats qui cassent tout et détroussent tout le monde sur leur passage. « Simole », comme le nom d’un ouragan qui dépossède ou immole… La proximité phonique n’est pas qu’un simple jeu de mots entre « simole » et « immole » ; elle interpelle la conscience de tous et de chacun sur la facilité avec laquelle la mort visite les demeures des humbles et s’en va payer un voyage au pays des effluves enivrants. Il y a de quoi s’indigner.
Un paisible père de famille qui réunit sou après sou au prix de moult sacrifices et qui est pressé de rentrer chez lui pour apaiser les soucis de ses enfants ? Rien de tout ceci n’attendrit le cœur de basalte des rentiers de la terreur, véritables adeptes de l’argent facile. Une mère de famille se réveillant avant le lever du soleil et rentrant après le coucher ? Les durs des temps de violence inouïe considèrent tout cela comme un délire d’émotions pour madeleines. Ces rackets itinérants et en plein jour inspirent la peur aux justes pendant que les pervers s’y adonnent à cœur joie. C’est la procession des chercheurs de gloire dans la mer de sueur des braves gens qui se tuent à la tâche. Rideau !
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)