Sentiment, pas toujours trop partagé. Affectivité, trop souvent ressentie. Passion, parfois trop exacerbée. Sensibilité, trop bien démontrée. Émotivité, trop souvent réprouvée. Intimité, jamais trop charnelle. Cependant, « Ki bëgg dofut, ki koy yeed a dof », disent les Wolofs.
Amour, amour, amour… Ce ressenti séculaire est toujours à la mode et ne risque donc pas d’être frappé d’un has been vindicatif. À travers les siècles, l’histoire regorge d’exemples où l’amour a provoqué guerre et paix, sans que Tolstoï ne l’évoque. Il a été au cœur du déclin des empires : demandez donc à Alexandre le Grand, dont l’amour pour Roxane, cette « sauvage de Bactriane », a contribué au désamour d’une partie de son état-major. Ces hommes, qui le suivaient aveuglément, tels des adeptes marchant sur le cercle tracé par un gourou sans en voir les contours, ont fini par se détourner de lui. Amour, amour, amour… Il peut être scellé par une alliance matrimoniale qui renforce les liens entre familles et consolide la construction politique des entités. *
En Occident, Shakespeare nous conte l’histoire de Roméo Montaigu et Juliette Capulet, deux amants tragiques issus de familles que la haine opposait. Mais sous nos latitudes sénégambiennes, des unions ont aussi cimenté de grandes constructions politiques. Yassine Boubou et Madior Au XIXe siècle, le roi Alboury Ndiaye, Bourba du Djolof, donna en mariage une de ses nièces à Maba Diakhou Ba du Rip. L’amour guida également le sacrifice ultime de la princesse Yassine Boubou, qui permit à son mari, Madior Fatim Golagne Fall, d’accéder au pouvoir en tant que Damel du Cayor. Leur fils, Biram Yassine Boubou, connut l’un des règnes les plus longs – dix-sept ans – et les plus prospères. « Xol du om ba niou koy beuss », a sans doute pensé Ndieumbeutt Mbodj lorsque l’alliance avec l’émir du Trarza, Mohamed El Habib, fut évoquée par les dignitaires du Waalo.
Cette histoire demeure aussi fraîche qu’un bouquet de fleurs à peine cueilli, malgré deux siècles écoulés. Le 18 juillet 1833, sous l’injonction des dignitaires du Waalo, cette union fut scellée entre les familles royales du Waalo et du Trarza, sous l’œil inquisiteur des colons français, avides de terres et de domination. Mais se bander les yeux et se laisser faire n’était point une valeur pour la sœur de Ndaté Yalla. Préférant l’exil à la soumission, elle quitta le Waalo afin d’anticiper toute intrusion non consentie sur ses terres. Après un séjour dans le Ndiambour, elle revint au Waalo deux ans plus tard, à la suite d’un traité avec les Français, et joua un rôle clé dans la nomination et l’élection d’au moins deux Braks : Fara Penda et Mbody Malik.
Koki et Ndam Cette femme forte, en acceptant d’épouser l’émir, permit à son royaume de résister à la poussée coloniale et aux ambitions expansionnistes des Maures du Trarza. Mais de cette union, il ne résulta pas seulement des intérêts politiques. Certaines alliances ouvrent des voies célestes aux terriens. C’est ainsi que les liens entre la famille de Serigne Touba et celle de Matar Ndombé de Koki inspirèrent à la diva Kiné Lam son fameux chant : « Serigne la thia Koki, Tafsir la sa Ndam. » Amour, amour, amour… Et ce n’est nullement chanter la palinodie que de le constater. Il ne s’agit pas, en effet, ici, de réduire cette notion aux seuls liens matrimoniaux et politiques.
L’amour que nous célébrons sous nos cieux n’est pas une projection matérielle. De nos sociétés précoloniales à celles rassemblant plusieurs générations – dont la Gen Z constitue la dernière –, il s’exprime souvent par des « preuves » immatérielles : donner le nom de ses parents à ses enfants en guise d’amour, ou bien honorer le cousinage à plaisanterie… Dès l’esclavage, l’anticipation des conflits et tensions passe par le rire avec le fameux « kal ». Après tout, rire ensemble, c’est déjà tenir à l’autre. « L’expression de notre amour n’est pas matérielle ; elle se manifeste à travers des gestes culturels. Nous devons l’arroser de nos valeurs et éviter le mimétisme », résume Massamba Guèye, écrivain et conteur. C’est ça aussi l’amour.
moussa.diop@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)