«La roue tourne » ! Un jour, on fait fortune et un autre, on fait faillite. C’est la loi de la roulette. Pour autant, le renoncement ne doit jamais être le tombeau de l’espoir. Vivre, c’est marcher gaillardement, tomber et se relever, fier d’avoir vaincu la fatalité. Endurant comme le cycliste qui, en montée de col, pédale. Sculptant l’effort dans la douleur, il gagne chaque mètre sur le bitume, en un tour de roue, dans la souffrance. Une souffrance rédemptrice.
Les dents serrées avant l’effusion de joie, les deux mains levées en signe de victoire. Aucune victoire sur la vie ne s’acquiert en ayant le dos sur un lit douillet. Dos au mur, peut-être. Dans cette posture, certaines âmes écorchées vives se rebellent et entament la remontée victorieuse de la pente. Rien à voir avec les prisonniers de la fatalité. Ceux-ci ligotent leur volonté au pied de leur propre défaitisme. Ils rendent leurs armes avant d’avoir engagé le combat de la vie. Pas le seul que nul gagnera, la mort. Mais celui si simple de la (sur)vie quotidienne. Il est des gens, pour peu que la vie les égratigne, gardent les bras ballants, le moral dans les chaussettes, le courage flasque.
L’effort du cycliste est un tableau de maître. Il est le cousin valeureux du « Thiak-Thiak », baroudeur devant l’Éternel pour sa dignité. Il est à la table du « Jakartaman » qui s’attaque à un quotidien difficile pour une vie meilleure. « Thiak-Thiak » résonne comme efficacité « en deux temps trois mouvements », pour reprendre le parler dans nos quartiers. Au-delà de la désignation d’un groupe de travailleurs sur deux roues, ce mot nomme une habitude. Celle-ci pourrait également s’appeler « Taf-taf », « Rak-tak ». Tenez, souvenez-vous des âmes qui ont la bougeotte, flagellés par la vie et qui, dans le quartier, vont d’un bout à l’autre… sans but. Elles bâclent tout et attendent tout du hasard d’une chance qui ne sourit que trop peu aux résignés de l’effort. La vie est un journal du gain facile. Sur une page, l’apologie de « Jooni jooni ». Sur une autre, « Xobbet ».
Dans une autre encore et parfois tout en images et tintamarre, « Melax », « Meless » ou l’amulette-miracle et « Boy Djinné », le mythe du prisonnier perce-muraille. Ce n’est pas sorcier ! Il est aisé de comprendre l’apologie de la facilité et du mysticisme défaitiste. « Jaap ci rek » pour dire « juste un coup de pouce » alors qu’en fin de compte, la main charitable s’engourdit et, franchement, se ramollit à force de tenir la roue ou la courte échelle pour des fainéants fondamentaux. C’est la même histoire pitoyable que celle d’un étudiant qui quémande deux points pour avoir la moyenne ; ce qui a dégoûté un éminent professeur d’université. Pour lui, un point, c’est un point et cela se mérite. Je peux dire, pour risquer une répétition teintée de cynisme si vous voulez : « un point et c’est tout ! ». Le point d’honneur pour certains jeunes, c’est le slogan d’un économiste en politique : « Tekki ».
La relation à la réussite n’est pas que matérielle. Elle revêt une charge psychologique qui valorise aux yeux des autres. Un baume au cœur et un bol d’air à l’esprit. Entendons-nous bien : la réussite n’est pas forcément du « Barça wala Barzack ». Un espoir à flot vaut mieux qu’un espoir englouti par les flots dans la gueule de l’Atlantique ou du Pacifique. L’espoir d’un quotidien meilleur habite le cœur des « Jakartamen » qui ont élu domicile à maints coins de rue. Ils se reconnaissent à leur attitude de chasseurs de clients tranquillement assis sur leur moto. Ils paraissent si doux qu’on les imagine mal dans une défiance à l’autorité. Ils sont si différents des conducteurs de « deux roues » qui arrachent les sacs de dames, lancent une embuscade aux paisibles citoyens sortis d’une banque ou d’un point Money, à la manière d’un aigle sur sa proie, s’emparent du téléphone d’un monsieur, piquent le greffage d’une midinette ou le sac d’une passante, etc.
Le tableau des démesures et d’une impunité apparente. Les rafles périodiques ne suffisent pas pour donner un nom et un prénom à ces distributeurs de désarroi à deux roues. Le visage d’un « deux roues », c’est une carte grise, un permis de conduire et une assurance. Le tout consigné sur une plaque d’immatriculation : « Monsieur, voici votre certificat de responsabilité ! » L’apologie de l’immobilisme voire du laxisme est véritablement la cinquième roue de la charrette. Il importe d’identifier ces « Jakartamen » qui ont la capacité de nous braquer et de nous dépouiller en plein jour.
Ils ne peuvent pas bénéficier du privilège de se fondre dans la masse alors que de paisibles gens voient le fruit de leurs efforts partir en pétaradant. La révolte ne suffit pas à excuser le désordre. Ces coups de sang cycliques arrêtent la roue du progrès. Les manifs ? Hier les ambulants, aujourd’hui les motos. Un petit café, une vendeuse de beignets, des stationnements très limites, un « Parc Lambaye » à tout bout de champ… Trop souvent, la finalité est utilisée pour justifier tous les abus dans la quête de moyens de subsistance : « dañuy dàan suñu doolé ». Comme pour dire que pour faire des omelettes, il faut casser des œufs. Dans la poêle, doit-on dire, pas en chemin, revenant de la boutique ! Sinon, il n’y a simplement pas d’omelette…