Aucun pays n’est épargné. Petits et grands. Faibles et puissants. Développés et en développement. Tous sont aujourd’hui victimes de campagnes de manipulation et de désinformation impliquant personnalités politiques, militaires, sanitaires, etc.
Le schéma utilisé par les cybercriminels est partout le même : voix et images détournées, totalement sorties de leur contexte et manipulées pour en faire photos, audios et vidéos de propagande. Avec à chaque fois le même objectif affiché : désinformer et manipuler l’opinion.
L’éminent Dr Abdoulaye Bousso, ancien directeur du Centre des opérations et secours (Cous) en a récemment fait les frais. Dans la courte vidéo qui s’est propagée dans les groupes WhatsApp et les réseaux sociaux, on y voit le médecin annoncer avoir créé un médicament contre les maladies articulaires. Et s’attaquer à la mafia des labos pharmaceutiques. Tout a été savamment imaginé et monté : journal télévisé de la chaine publique, la Rts connue pour sa rigueur dans le traitement de l’information. Un journaliste respecté : notre confrère Habibou Mbaye. La vérification faite par le Soleil Check montre que la vidéo en question ne s’appuie sur rien de factuel. Elle a été fabriquée de toutes pièces. Les images et les timbres de voix (aussi bien du Dr Bousso que du journaliste Habibou Mbaye) ont tout bonnement été détournés.
De plus, on a pu retrouver la vidéo dans d’autres articles de presse. Prise, non pas au Sénégal mais en Ouganda. Plus précisément au Parlement de ce pays d’Afrique australe en septembre 2017, lors d’un vote d’un projet de loi sur la limitation d’âge à la présidentielle. Un phénomène qui commence à être monnaie courante sur le continent. Il y a quelques jours, une « information » de ce genre a failli créer un incident diplomatique entre la France et la République démocratique du Congo. En cause, une rumeur qui s’est répandue, comme une traînée de poudre, sur la toile et faisant croire que Paris avait transporté des munitions vers Kigali pour soutenir le Rwanda dans le conflit qui l’oppose à la Rdc. Il a fallu un autre média de fact-checking congolais, « Balobaki » pour enregistrer le démenti formel de ces allégations par le Quai d’Orsay. Malgré tout, la propagation de fausses continue de plus belle dans l’est de la Rdc.
Poussant Kinshasa à prendre une mesure radicale, le 2 février, consistant à couper les réseaux sociaux. En août 2023 déjà, une vidéo du même type visant le même objectif avait circulé sur la toile, montrant trois rafales accompagnés d’un gros transporteur sur un tarmac où étaient parqués des avions portant le logo de la compagnie Air Sénégal. Le message qu’elle voulait faire passer était simple : des avions de l’Otan venaient d’atterrir à Dakar pour dégager la junte nigérienne. On peut en citer encore et encore des pays victimes de ces fausses informations. Preuve que le continent est désormais la cible des campagnes de propagandes et de manipulations.
Et rien ne semble pouvoir arrêter le phénomène. Favorisé et accentué bien évidemment par les réseaux sociaux dont le nombre d’utilisateurs sur le continent atteint et dépasse aujourd’hui le milliard. Que faire alors pour freiner le mal ? S’adapter. Oui. Comment ? En outillant les médias et en formant les journalistes sur le fact-checking. De timides initiatives existent sur le continent, notamment au Bénin qui a mis en place « Anti-fakenews.bj », la plateforme nationale de lutte contre la propagation des fake news. Et au Sénégal qui peut s’enorgueillir d’avoir « Africa Check » impliqué dans le « fact-checking » et l’éducation aux médias. D’autres expériences comme celles du quotidien national Le Soleil avec « Soleil Check » sont à saluer et à encourager.
Mais il faut le dire, juguler ces informations « méticuleusement élaborées, intentionnellement fausses et trompeuses » nécessite une gigantesque machine, mutualisant les efforts (journalistes, Ong, partenaires) avec à la manette des décideurs clairvoyants et conscients des enjeux. Autrement dit, il faut une réelle volonté politique assumée des États accompagnant les journalistes en termes de méthodes et d’outils pour leur permettre à une vitesse de la lumière de vérifier et d’authentifier, si besoin, les informations sur les réseaux sociaux. On a tendance à l’oublier : le fact-checking est au fondement de la pratique journalistique.
abdoulaye.diallo@lesoleil.sn