Politiquement, éviter le sujet lors de la séance de questions écrites au gouvernement, hier à l’Assemblée nationale, aurait donné la sensation d’un blanc au milieu d’une bande sonore, d’une rupture de pellicule au cours de la projection.
Injures, obscénités et fausses nouvelles polluent l’espace public, l’éventail de nos préoccupations s’est maintenant dégradé. Au minimum, manger, se loger, se vêtir, se soigner, éduquer les enfants, s’adapter et surtout, avoir foi en l’avenir, maintenant, on doit ajouter la chasteté auditive, la qualité de ce qu’on regarde et ce qu’on entend dans nos médias. Question d’hygiène mentale. Mais aussi d’ambition et de désir de sens. Exigence de respectabilité. On ne peut pas déterminer comment un « ordre de langage » ordurier agit sur nos individualités (aucune recherche locale sur le sujet à notre connaissance), mais à un niveau collectif, il rompt le contrat de confiance entre les acteurs, trahit une société malade ou alors révèle des relais médiatiques compromis. Lorsque le langage devient obscène, il n’exprime plus seulement une opinion : il contribue à fracturer la société, à délégitimer les institutions et à ancrer le soupçon. Et ça, c’est la hantise des démocraties.
Ousmane Sonko était attendu sur cette question en tant que chef du gouvernement. Ces derniers jours, une éruption de discours infamants a subitement envahi certains médias, viralement démultipliés par les réseaux sociaux. Bien sûr, le phénomène date de longtemps, et s’est maintenant incrusté dans nos mœurs, banalisé, confirmé comme fait de société. La « paternité » de ces dérives est largement discutée. Le fait est que nous consommons une parole désinhibée traduisant une mutation profonde de notre espace public. Autrefois, la civilité verbale marquait la frontière entre le débat démocratique et le vacarme improductif. Aujourd’hui, cette frontière s’efface dans une cacophonie faite de dérapages verbaux, de contenus choquants et de mensonges médiatisés. Ce n’est pas simple car la nouvelle majorité conduite par le Pastef est rétrospectivement accusée (avec force VAR à l’appui) par son opposition d’avoir catalysé cette tendance dans sa marche vers le pouvoir.
Responsabilité partagée, disent-ils. Que faire ? Ce que tout gouvernement responsable aurait fait : faire appliquer la loi. Comment le faire ? En usant de la panoplie des moyens institutionnels à sa disposition, ici la politique pénale. Certes, l’indépendance de la justice est consacrée par la Constitution, mais l’initiative d’une politique pénale est dans les prérogatives d’un gouvernement. Effectivement, par un ensemble d’orientations, de priorités et d’instructions générales, le ministère de la Justice s’adresse aux procureurs pour guider leur action dans la mise en œuvre de la loi pénale. Exactement comme « l’esprit » de la vague d’arrestations qui a accompagné le processus électoral lors de la dernière présidentielle. Et pas besoin de rappeler qui nomme le garde des sceaux.
Politique pénale ? « Elle vise à assurer une cohérence nationale dans la réponse pénale apportée aux infractions, en tenant compte des priorités politiques, sociales ou sécuritaires du moment », note le Dalloz. Le Premier ministre a donc évoqué la « tolérance zéro » à propos de la diffusion de fausses nouvelles. « Je le dis à tous les Sénégalais, désormais, la politique pénale, c’est zéro tolérance. La diffusion de fausses nouvelles, c’est zéro tolérance. Que chacun assume ! » On va donc vers une hausse des affaires judiciaires en lien avec « une parole non maitrisée ». Donc juger les mots sans soigner les maux, au risque de confondre l’ombre portée de la parole avec la racine du mal, l’intolérance, l’inculture démocratique. La justice tranchera peut-être les excès ; elle ne réconciliera pas à elle seule l’espace public qui ne s’écoute plus. samboudian.kamara@lesoleil.sn
Réanimer l’espoir de 1975 (Par Samboudian KAMARA)