En Côte d’Ivoire, à chaque élection, l’histoire bégaie. On pourrait croire que les enjeux économiques, sociaux ou encore éducatifs suffisent à animer le débat politique. Mais non. Il y a un sujet qui, inlassablement, revient sur le devant de la scène : la nationalité des candidats.
Cette fois-ci, c’est Tidjane Thiam qui en fait les frais. Célestin Sérey Doh, ministre délégué chargé des Affaires maritimes – un poste dont l’intitulé fleure bon la technocratie – a décidé de donner un cours de géographie électorale à l’assemblée réunie à Tacourably. « Il s’appelle Thiam. Quand tu quittes le Sénégal pour venir en Côte d’Ivoire, tu vas sauter d’abord un pays… » a-t-il lancé, avec la satisfaction de celui qui croit tenir un argument imparable. Ainsi donc, une frontière supplémentaire ferait de vous un étranger ? Ainsi donc, la filiation l’emporterait sur le parcours, l’engagement, le service rendu à la nation ? Sérey Doh poursuit, sûr de son effet : « Son papa est Sénégalais, sa maman est Sénégalaise. Tout simplement parce qu’il a été adopté par Félix Houphouët-Boigny… »
Comme si l’adoption symbolique par le père de la nation ivoirienne n’était pas suffisante pour légitimer son appartenance au pays. Mais au fond, le débat est-il réellement là ? Ce n’est pas la première fois que la Côte d’Ivoire est secouée par ce genre de polémique. Il y a plus de vingt ans, le concept d’« ivoirité » était forgé pour disqualifier certains adversaires politiques, Alassane Ouattara en tête. Un débat délétère qui avait contribué à plonger le pays dans une décennie de troubles. Ironie de l’histoire, voici maintenant que les partisans du président Ouattara se retrouvent à manier les mêmes arguments contre Tidjane Thiam. L’ancien patron du Crédit Suisse a pourtant un Cv que beaucoup de pays lui envieraient.
Formé aux meilleures écoles, il a dirigé l’un des plus grands groupes bancaires au monde. Mais en Côte d’Ivoire, cela ne suffit pas. Il faut encore prouver que l’on appartient au pays, que l’on a la « bonne » origine. Ce qui se joue ici dépasse le simple cas Thiam. Car, en vérité, cette question d’identité nationale est un instrument politique, dégainé au gré des circonstances, utilisé pour exclure ou discréditer. Dans les marchés d’Abidjan, dans les plantations du centre, dans les faubourgs de Bouaké, on se moque bien de savoir si Thiam est né d’un père sénégalais ou si Ouattara a passé une partie de sa jeunesse au Burkina Faso.
Ce qui compte, c’est la capacité à redresser l’économie, à améliorer le quotidien, à apporter des solutions concrètes. Mais voilà, ces considérations pragmatiques ne font pas toujours bon ménage avec les stratégies politiques. On préfère alors rallumer les vieilles braises identitaires, quitte à raviver des tensions que l’on croyait apaisées. Reste à savoir si les électeurs ivoiriens, en 2025, auront encore envie de s’attarder sur ces questions, ou s’ils préféreront juger les candidats sur leurs idées plutôt que sur leur arbre généalogique. Après tout, un passeport n’a jamais fait un bon président.
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