Vivre en République n’est jamais une condition paisible. C’est un exercice de funambule qui se répète chaque matin, quand le citoyen tente de marcher en équilibre entre ses droits légitimes et les devoirs qu’il préférerait oublier. La République, au fond, n’est pas un drapeau qui flotte au vent.
C’est une discipline quotidienne, aussi exigeante que l’art patient du tisserand qui mêle des fils parfois rugueux pour produire une étoffe commune. Le Sénégal aime proclamer son attachement à cet idéal. Mais il doit encore apprendre à le pratiquer pleinement, en regardant lucidement ce qui fonctionne ailleurs. Sur bien des continents, les nations républicaines ont compris une évidence simple. Une République ne se borne pas à organiser des élections. Elle façonne des comportements. Elle fabrique des réflexes. Elle impose une culture du compromis qui n’est jamais spontanée. Dans les pays scandinaves par exemple, le citoyen n’est pas un consommateur impatient. Il est un rouage volontaire d’une mécanique collective qu’il contribue à entretenir. En Asie, certains États ont montré qu’un service public respecté peut devenir une colonne vertébrale qui redresse les sociétés. En Amérique latine, les mouvements citoyens ont fait la preuve que la vigilance populaire est une énergie démocratique indispensable. Le Sénégal peut tirer de ces leçons un enseignement majeur.
La République n’est pas un patrimoine immobile. Elle exige d’être défendue, réparée, nourrie. L’indiscipline civique, érigée en sport national, fragilise l’édifice. La corruption, même lorsqu’elle se veut modeste, perfore lentement les fondations. La parole politique, si elle devient outrancière ou incantatoire, ne bâtit plus rien. Elle envenime le débat et attise les frustrations. Léopold Sédar Senghor rappelait que l’avenir appartient à ceux qui cultivent l’esprit. Cela vaut pour les institutions comme pour ceux qui les dirigent. Une République qui ne cultive plus l’esprit finit par se contenter de slogans et se détourne de la rigueur nécessaire à son accomplissement. Ce que le Sénégal doit apprendre du monde, c’est la constance. L’idée que la République est un effort silencieux, presque modeste, fait de respect des règles et de temps consacré à l’intérêt général. Ce que d’autres pays ont intégré, parfois au prix de crises douloureuses, c’est que la discipline civique n’est pas une contrainte humiliante. Elle est le prix de la liberté. Nelson Mandela n’écrivait-il pas que « la liberté n’a de sens que si elle améliore la vie des autres » ? Voilà la matrice républicaine que le Sénégal gagnerait à méditer.
Chaque incivilité, chaque mensonge politique, chaque passe-droit concédé au nom d’une amitié ou d’une influence est une pierre en moins sur le chemin collectif. La République demande aussi de faire vivre l’esprit critique. D’accepter le débat sans le transformer en guerre civile verbale. D’exiger des gouvernants des comptes précis. D’attendre des citoyens une exemplarité ordinaire. Dans bien des démocraties avancées, la presse joue ce rôle de vigie infatigable. Les corps intermédiaires y protègent la société des emballements soudains. Au Sénégal, cette architecture existe, mais demeure fragile, souvent bousculée par l’émotion ou l’improvisation politique. Il faut la consolider, comme on renforce un pont avant la saison des pluies.
Vivre en République revient à accepter un contrat. Un contrat qui engage chacun. Un contrat qui place le civisme au même rang que la liberté. Un contrat qui ne tolère ni la paresse institutionnelle ni l’indifférence citoyenne. Ce dont le Sénégal doit apprendre du monde n’est pas une imitation servile. C’est une ambition. Celle de construire une République ferme, juste, vigilante et généreuse. Une République qui ne se contente pas de proclamer ses valeurs, mais qui les incarne, dans le tumulte des rues comme dans le silence des bureaux. C’est dans cet effort quotidien que naît la dignité d’un peuple et que se mesure, au fond, la maturité d’une nation.
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