Qu’importe que la panne d’escalier mécanique soit due à un vidéaste de la Maison Blanche qui a actionné « par inadvertance » le mécanisme de sécurité ! Qu’importe que le téléprompteur soit géré par la Maison Blanche ! Qu’importe que le système de sonorisation soit conçu pour permettre aux gens assis à leur siège d’écouter les discours traduits en six langues au moyen d’écouteurs ! À la tribune de l’Onu, lors de la dernière Assemblée générale, le 24 septembre 2025, Donald Trump a une nouvelle fois assuré le show. Entre son réquisitoire souverainiste, climato-sceptique et anti-immigration et sa tirade contre l’Europe, le président américain a dénoncé un « triple sabotage » dont il assure avoir été victime.
« Les deux choses que j’ai eues des Nations unies, c’est un escalier mécanique défaillant et un téléprompteur défaillant », a ironisé le président des États-Unis, reprochant à l’institution d’être « très loin de réaliser son potentiel. » Cet épisode illustre le mépris que le président de la première puissance mondiale affiche pour l’Onu, symbole du multilatéralisme. Il faut rappeler que, historiquement, une frange radicale du parti républicain n’a jamais aimé l’Onu et a toujours considéré que l’Amérique n’avait pas à se soumettre à ses décisions. Pourtant, en dépit des reproches légitimes qu’on peut lui faire – d’être devenue, entre autres, une immense bureaucratie dont la finalité semble de s’auto-entretenir –, l’Onu est certainement le lieu pour « faire humanité ensemble ». En effet, comme l’a bien perçu Souleymane Bachir Diagne, « l’universel ne peut être que latéral ».
Il ne peut plus être vertical, c’est-à-dire dicté par une province du monde particulière, mais il doit être l’objet d’une négociation latérale. Et le seul espace aujourd’hui, où les cultures, les langues, les différentes nations du monde se rencontrent pour essayer de maintenir ce dialogue, c’est l’Onu. Les États-Unis qui ne cessent d’affaiblir l’Onu ont pourtant joué un grand rôle dans la création de ce « machin » qu’ils voulaient instrumentaliser. Or, à l’image du téléprompteur de Trump, le courant ne passe plus. Au lieu d’un dialogue respectueux, on assiste à de longs monologues, où les grandes puissances, surtout elles, martèlent leur vision unilatérale du monde. Et c’est d’ailleurs les seules qu’on écoute lors de chaque assemblée générale de l’Onu. Les discours des dirigeants africains, à l’image de celui du président Bassirou Diomaye Faye, se déroulent dans une salle quasi vide, malgré leur pertinence.
Le plus triste, c’est que personne n’en tient compte. On doit aussi dire, à la décharge de l’actuel Secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, qu’il a toujours appelé à la raison, à l’esprit fondateur des Nations unies, mais son discours est resté inaudible. De l’Ukraine à Gaza, en passant par le Soudan, pour ne citer que les conflits les plus brûlants, il a toujours appelé l’humanité à un sursaut, mais il n’a aucun moyen d’agir face à un Conseil de sécurité paralysé par les intérêts égoïstes des « cinq grands ». Sans compter ceux qui, comme Israël, s’estiment au-dessus des règles internationales. Face à cette situation, on est tenté de tomber dans le scepticisme le plus profond et le cynisme qui consiste à dire : « C’est ainsi. Les humains sont tout naturellement des loups les uns pour les autres » pour reprendre la fameuse phrase de Thomas Hobbes. L’alternative serait de dire que le défi de la fragmentation actuelle du monde nous commande la responsabilité et la visée de « faire humanité ensemble ».
La justice passe par l’universalité des droits. Ce projet cosmopolitique, selon Bergson, se situe dans le prolongement de la création de « l’humanité humaine ». C’est là le mérite des hommes d’État de trouver les voies et moyens pour réaliser cette finalité politique. Pour l’auteur « Des deux sources de la morale », le rôle des hommes d’État, « c’est d’avoir le sens des impossibilités et d’y conformer leur conduite, en tâchant de dominer les possibilités ». C’est dire que finalement rien n’est impossible à l’homme, pourvu qu’il soit conscient des difficultés et accepte de les affronter pour créer la fraternité mondiale, en élaborant une législation universelle juste et équitable. Le blocage de l’Onu n’est pas une fatalité. Le monde a aujourd’hui plus besoin de vrais hommes d’État que « d’hommes forts ».
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