Dans les coulisses du pouvoir, la fidélité ne dure jamais qu’un temps : celui de la lumière. Quand elle s’éteint, les courtisans changent de camp, les flatteurs se muent en juges, et la meute se prépare au festin.
La fin précipite toujours le chaos. Chez les rois d’hier comme chez les présidents d’aujourd’hui, c’est en fin de règne que la loyauté se fissure, que les visages tombent, que les couteaux se lèvent. Tant que le pouvoir rayonne, tout le monde s’incline. Mais dès que la lumière baisse, les ombres s’allongent. L’histoire politique n’est qu’une succession de trahisons rejouées sous d’autres costumes. Autrefois, les signes étaient feutrés : regards fuyants, palabres de cour, murmures dans les couloirs du palais. Les courtisans savaient lire ces présages, sentir le vent tourner avant même qu’il ne souffle. Ils reconnaissaient le moment où l’on doit cesser de lécher pour commencer à lâcher. Aujourd’hui, la scène a changé, mais la pièce reste la même. Les palais sont climatisés, les courtisans connectés.
Les trahisons se dissimulent derrière des tweets et des sourires calculés. Les fins de mandats verrouillés, les santés fragiles, les économies épuisées déclenchent la ruée. Et comme toujours, la meute s’ébranle avant même que le roi ne soit tombé. Les silences s’allongent, les regards se détournent, les fidèles se font rares. Car la trahison ne vient jamais de loin. Elle surgit du cœur du cercle. De ceux que le dirigeant a nourris, promus, hissés du néant à la lumière. L’ami de jeunesse, le frère, le fils spirituel. C’est d’eux que vient le poignard, silencieux et précis. Hier encore, ils glorifiaient le roi, louaient son génie supposé, meublaient son vide. Il parlait, ils acquiesçaient. Il hésitait, ils tranchaient à sa place. Puis le ton change. Les mêmes bouches se taisent d’abord, puis murmurent, puis critiquent. Les plus habiles retournent leur veste : « Nous l’avions prévenu », disent-ils.
« Nous avons toujours voulu son bien. » Et les voilà, moralistes tardifs, redresseurs de torts qu’ils ont creusés. Ils lâchent sans remords. Mais le pire vient après. Car une fois lâché, le roi est livré à la meute. On ne se contente pas de l’abandonner, on le lynche. Publiquement. Sauvagement. Ceux qui hier l’applaudissaient réclament sa tête, ses comptes, sa honte. Les micros s’ouvrent, les langues aussi. Chacun veut prouver qu’il n’a jamais été complice. On gomme les photos, on supprime les tweets d’allégeance, on efface les traces du léchage. Et dans le grand théâtre politique, les rôles se redistribuent : les flatteurs deviennent justiciers, les profiteurs patriotes, les traîtres sentinelles de la démocratie. Lécher. Lâcher. Lyncher. C’est la loi non écrite du pouvoir, sa mécanique cruelle et répétitive.
Aucun dirigeant n’y échappe. Aucun peuple non plus. Car à chaque fois, la même pièce se rejoue : un homme qui croit en la fidélité, des courtisans qui croient en leur avenir, et un public qui croit à la repentance. Jusqu’à ce qu’un autre roi monte sur le trône, et que tout recommence. Pourtant, il y aurait une autre fin possible : celle où la dignité précède la chute, où l’homme de pouvoir sait partir avant d’être lâché, où ceux qui l’ont servi savent se taire plutôt que trahir. Mais la politique n’a pas de place pour la pudeur ; elle préfère le spectacle du lynchage, ce moment où les hyènes se sentent braves parce que le lion est à terre. Le pouvoir, en vérité, ne corrompt pas seulement ceux qui le détiennent. Il pervertit aussi ceux qui le convoitent, ceux qui le servent, ceux qui le regardent tomber. Lécher. Lâcher. Lyncher. Ainsi va la fin de tout règne, entre courtisans tremblants, rois déchus et foules amnésiques.


