Il y a encore quelques années, nous pensions qu’il suffisait de publier un démenti, d’apporter une preuve ou de montrer une photo vérifiée pour éteindre une rumeur.
Les faits, pensions-nous, finiraient toujours par s’imposer. Mais nous avons basculé dans ce que les chercheurs et journalistes appellent désormais l’ère de la post-vérité. Michaël Lainé, maître de conférences en économie à l’université Paris-8 la décrit parfaitement dans son essai L’ère de la post-vérité. Il indique que « Non seulement les individus peinent à discerner le vrai du faux, mais ils valorisent moins la vérité. Préférant les opinions préconçues et les fictions à la science, ils prennent de plus en plus leurs fantasmes et leurs peurs pour des réalités. Partout, les sociétés se polarisent ».
Ce terme, popularisé après le référendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, fait penser à un moment où les faits objectifs comptent moins que les émotions, les croyances et les récits dans la formation de l’opinion publique. Dans cet environnement, les fake news ne sont plus des accidents isolés : elles se transforment en stratégies délibérées. Les campagnes de désinformation, les manipulations d’images, l’utilisation de comptes automatisés, la mise en avant algorithmique des contenus les plus viraux créent un climat où l’émotion prime sur la raison. Ce n’est plus « qui dit vrai » qui importe, mais « qui raconte le récit le plus mobilisateur ». Ce basculement a été accéléré par la révolution numérique. Les réseaux sociaux, en offrant à chacun la possibilité de publier sans filtre et d’atteindre des milliers de personnes, ont brisé le monopole de l’information qu’avaient jadis les médias traditionnels.
Les individus, une fois transposés dans le monde numérique, se retrouvent piégés dans ce que l’on appelle des bulles algorithmiques. Ces bulles se forment à partir de nos interactions en ligne : chaque « like », chaque partage, chaque recherche ou même chaque clic contribue à affiner le profil que les plateformes construisent de nous. Résultat : elles nous proposent du contenu qui correspond de plus en plus à nos goûts, nos opinions et nos habitudes, tout en écartant ce qui pourrait nous contredire ou nous déplaire. Ces bulles ne sont pas imperméables : il est possible de les percer en diversifiant volontairement ses sources d’information, en s’exposant à des points de vue différents ou en utilisant des outils de vérification. Mais dans la pratique, très peu d’acteurs ont intérêt à ce que les utilisateurs en sortent. Les plateformes numériques, qui vivent de l’engagement et de l’attention, préfèrent maintenir les internautes dans un environnement confortable et familier qui les incite à rester connectés.
Les annonceurs y trouvent également leur compte, car un profil homogène et prévisible est plus facile à cibler. Ainsi, ce qui semble être une personnalisation utile peut rapidement se transformer en enfermement invisible, réduisant notre horizon informationnel et affaiblissant notre esprit critique. Dans ce contexte, les frontières entre information, opinion et propagande deviennent floues. Des images sensationnelles, des témoignages non vérifiés ou des statistiques détournées peuvent influencer des élections, déclencher des violences ou miner la confiance dans les institutions publiques. Les récits populistes prospèrent sur ce terrain : il ne s’agit plus d’éclairer les citoyens mais de mobiliser les émotions, souvent contre un ennemi désigné. Face à cela, le fact-checking apparaît comme un rempart indispensable. Vérifier, contextualiser, démonter les intox est une première étape essentielle.
La force de ce fact-checking revient à la contextualisation de l’info/x. Mais dans l’ère de la post-vérité, cela ne suffit plus. Les démentis arrivent souvent trop tard, une fois que l’information erronée a déjà circulé et modelé des opinions. Il faut donc aller plus loin : expliquer les mécanismes de manipulation, montrer comment fonctionnent les algorithmes, pourquoi certaines fausses nouvelles sont créées et comment elles circulent. Il s’agit d’éduquer, pas seulement de corriger. La post-vérité n’est pas une fatalité, c’est un défi. Dans cet univers saturé de messages, la vigilance, l’éducation et la transparence sont nos meilleures armes pour que la vérité retrouve sa place au cœur du débat public. Comme le dit un proverbe wolof : « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens. » Pour ne pas perdre le sens des faits, nous devons garder en mémoire les principes du journalisme, de la vérification et de l’éthique de l’information.
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