L’eau est la seule ressource à figurer dans tous les Objectifs de développement durable (Odd) pour des raisons agricoles, d’assainissement, d’hygiène… Sa maîtrise est donc vitale. La ressource est abondante sur Terre, mais demeure tellement sensible que son partage constitue un enjeu majeur en ce 21e siècle.
Chaque habitant de la planète peut, théoriquement, disposer de 6450 m3 en 2005 et de 4800 m3 en 2025, rapporte dans son ouvrage le professeur canadien Fréderic Lasserre, co-auteur de l’ouvrage « Le partage de l’eau dans le monde ». Pays sahélien tributaire de trois mois de pluies inégalement réparties dans le temps et dans l’espace, le Sénégal a lancé, en octobre 2024, son ambitieux projet d’Autoroutes de l’eau d’un coût total de 3500 milliards de FCfa. L’objectif est d’approvisionner en eau à long terme, de façon durable et équitable, les grandes villes et les zones agricoles pour atteindre la souveraineté alimentaire. Le projet, appelé aussi Grand transfert d’eau (Gte) à partir du Lac de Guiers vers Dakar, Thiès, Mbour et Touba devrait, à ses débuts, desservir en eau potable près de cinq millions de personnes et 11 millions d’usagers d’ici 2050.
Les Autoroutes de l’eau irrigueront aussi plus de 12.000 hectares de terres agricoles. Lors du lancement du projet, le 31 octobre 2024, officialisé par la signature à Dakar du partenariat entre le Fonsis et Sinohydro, filiale du groupe chinois Power-China, le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, disait fort à propos : « Ce projet n’est pas seulement une autoroute de l’eau : c’est aussi un pont entre notre réalité et notre potentiel, entre notre présent et notre avenir ». Le potentiel hydraulique du Sénégal est immense, le volume moyen annuel des eaux de surface (qui représentent près de 90 % des ressources en eau renouvelables), s’élève à 36,97 milliards de m 3 inégalement réparties, selon une étude de cas de Un Water. Malheureusement, ce potentiel est sous-utilisé ou mal exploité, exposant davantage le triangle Dakar-Touba-Mbour au stress hydrique.
Selon la Banque mondiale, les évènements extrêmes liés à l’eau ainsi que sa pollution coûtent à notre pays plus de 10 % de son Pib chaque année. Notre agriculture peine à s’inscrire dans la durabilité. Elle est loin de combler les besoins alimentaires des Sénégalais, la production céréalière se situant à 4 millions de tonnes pour la campagne 2023-2024, selon l’Ansd, alors que celle de l’arachide stagne depuis des décennies. Des faiblesses qui condamnent le Sénégal à se tourner vers l’importation de denrées alimentaires pour une valeur de plus de 1 000 milliards de FCfa par an pour un budget national 2025 arrêté à 6395 milliards de FCfa. Nous achetons à l’extérieur 70 à 80 % de ce que nous consommons, notre autosuffisance alimentaire se situant seulement à 57 %, déplorait le ministre de l’Agriculture, en mai 2024.
Pendant ce temps, un pays comme le Maroc, confronté à la rareté de l’eau, a réussi à se hisser au rang de quatrième exportateur mondial de produits agricoles, malgré la sécheresse dont il est confronté. Son système d’irrigation en goutte-à-goutte très performant assure la moitié de son Pib et 75 % des exportations agricoles. Le Royaume chérifien, qui a enregistré une contreperformance en 2023-2024 avec une production céréalière en baisse à 3,3 millions de tonnes (-42 %), compte dédier 5 millions d’hectares à la culture des céréales pour la saison agricole 2024-2025. Les différents régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays ont saisi l’urgence de maîtriser la ressource, même si les résultats n’ont pas été toujours probants (canal du Cayor, vallées fossiles, programme de bassins de rétention etc.).
Dans un contexte de changement climatique, la dépendance aux précipitations est en contradiction avec les objectifs d’autosuffisance alimentaire. Pendant que la salinisation des sols rétrécit les surfaces cultivables dans les Niayes maraîchères et dans une bonne partie du Bassin arachidier, l’élevage survit encore en grande partie grâce à la transhumance, avec tout ce que cela implique en termes de qualité et de quantité de la production en viande et en lait. Les défis sont tels qu’emprunter les Autoroutes de l’eau est la voie indiquée pour mettre le liquide précieux au service du développement et de la santé des Sénégalais..
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