Au Sénégal, comme ailleurs, les débats se crispent trop souvent autour d’une opposition simpliste : le bien contre le mal, les nantis contre les démunis, les modernes contre les traditionalistes, les partisans du changement contre les gardiens du temple.
Ces antagonismes dessinent un monde binaire, où chaque camp brandit ses vérités comme des armes et où l’adversaire devient un obstacle plutôt qu’un interlocuteur. Pourtant, la réalité est infiniment plus complexe. La vie n’est ni blanche ni noire, et c’est en acceptant ses nuances que l’on pourra bâtir un avenir commun. À Dakar, dans le tumulte du vibrant marché Sandaga, entre les étals de fruits et les klaxons pressés, une marchande de beignets converse avec un jeune cadre en costume, venu acheter son petit-déjeuner.
Elle incarne une économie informelle qui nourrit des milliers de familles ; lui, la promesse d’une modernité en marche. Ils se croisent, s’échangent un sourire et poursuivent leur route. Deux mondes que tout semble opposer et qui, pourtant, coexistent et s’enchevêtrent. Dans les salons feutrés où se dessinent les politiques publiques, le même affrontement se rejoue : faut-il favoriser l’industrialisation ou soutenir l’agriculture familiale ? Accueillir les capitaux étrangers ou protéger les entrepreneurs locaux ? À chaque dilemme, certains tranchent avec la fermeté de ceux qui refusent le doute.
Mais pourquoi choisir entre le passé et l’avenir, entre l’ouverture et la souveraineté, quand on peut conjuguer les deux ? Le Sénégal, avec son histoire de brassages et d’influences, est un pays de synthèse. De Saint-Louis à Ziguinchor, les héritages peul, sérère, mandingue ou wolof se mêlent aux réminiscences coloniales, aux aspirations panafricaines et aux promesses du numérique. Vouloir enfermer cette mosaïque dans des catégories rigides serait une erreur. C’est en conciliant les énergies de toutes les composantes de la nation que l’on construira un avenir solide. Prenons l’éducation, ce levier essentiel du développement. Certains prônent la généralisation du numérique, la robotique dans les écoles et l’apprentissage du codage dès le plus jeune âge. D’autres défendent les « daaras » et les savoirs ancestraux.
Pourquoi opposer ces deux visions, alors qu’une école moderne pourrait s’enrichir des valeurs d’endurance et de discipline inculquées par les maîtres coraniques, tout en formant des générations à l’ère numérique ? Les mêmes logiques de complémentarité s’appliquent à l’économie. Il ne s’agit pas de substituer une réalité à une autre, mais d’articuler le formel et l’informel, l’urbain et le rural, la grande industrie et l’artisanat. Plutôt que de considérer les petits vendeurs de rue comme un problème à éradiquer, pourquoi ne pas les intégrer dans une dynamique qui leur offre des infrastructures adaptées, des financements, une reconnaissance légale ? Les défis sont immenses, mais les ressources le sont aussi.
La jeunesse sénégalaise déborde de créativité. Sur les réseaux sociaux, elle interpelle, innove, entreprend. Dans les villages, elle réinvente l’agriculture, réhabilite les savoirs locaux et explore de nouvelles formes de solidarité. Il ne lui manque que des cadres propices à son épanouissement, des ponts entre les aspirations et les moyens d’y parvenir. Bâtir le Sénégal exige de dépasser les clivages artificiels, de refuser la facilité des oppositions tranchées. Entre le noir et le blanc, il y a toute une palette de gris, de rouges flamboyants, de bleus profonds, de jaunes éclatants. C’est en embrassant cette diversité que l’on donnera au pays les couleurs de son avenir..
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