L’actualité (l’investiture de Donald Trump ce lundi 20 janvier) m’oblige à revenir sur un sujet que j’avais évoqué sous un angle différent la semaine dernière. Jamais dans l’Histoire, des entrepreneurs privés n’ont eu autant de pouvoirs que les patrons de la Big Tech aujourd’hui.
Certes, l’histoire de l’humanité, singulièrement celle des États-Unis, regorge d’exemples de grands capitaines d’industrie qui ont révolutionné beaucoup de domaines. Ce qui est nouveau, c’est que ces grands patrons de la Tech ont considérablement gagné en influence politique et affichent, à la différence de leurs prédécesseurs qui ont bâti l’âge d’or de l’industrialisation aux États-Unis (JP Morgan, Carnegie), une proximité directe avec le gouvernement en place. À l’instar d’Elon Musk devenu le bras droit de Donald Trump, ils sont désormais au cœur du pouvoir de la première puissance mondiale ou en mesure de peser sur le choix des dirigeants grâce à l’influence des réseaux sociaux dans la fabrique de l’opinion. Une situation inédite.
Ce qui inquiète, ce n’est pas tant les progrès fulgurants de ces technologiques, mais leur régulation. Jusque-là ce rôle était dévolu aux dirigeants politiques élus par le peuple. Avec le retour de Donald Trump au pouvoir, les règles ont totalement changé. La nomination d’Elon Musk à la tête du nouveau département américain de l’efficacité gouvernementale, en plus de constituer un conflit d’intérêts – ses sociétés bénéficient de contrats avec le gouvernement américain – accentue le risque d’une dangereuse concentration du pouvoir aux mains de très peu de personnes ultra-riches. Le tonitruent patron de Space X, Tesla et de X (ex-Twitter) a déjà promis de sabrer dans les dépenses publiques et de… déréguler à tout va. Or, c’est là que se situe l’enjeu majeur. Avec le changement de paradigme que constitue l’IAG (des systèmes d’intelligence artificielle capables de se contrôler eux-mêmes de façon autonome), il est à craindre que l’humain ne perde définitivement le contrôle. Le mythe de Frankenstein guette.
En effet, l’IA remet en cause le postulat cartésien qui fonde la confiance en la science, faisant de l’homme « maître et possesseur » de la nature. Contrairement à la machine qui n’est qu’un appoint pour l’homme, l’IA a potentiellement le pouvoir de le supplanter. Et avec des apprentis sorciers sans garde-fous, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Pire, cette minorité de patrons 2.0 ultra riches s’est arrogé le droit de décider de l’avenir de toute l’humanité sans en avoir reçu le mandat. Ce qui pose un problème éthique. Joe Biden, pourtant qualifié d’éternel optimiste, a tiré la sonnette d’alarme, à la veille de son départ de la Maison-Blanche, contre les conséquences dangereuses du pouvoir sans limites des richissimes patrons de la Tech. « Une oligarchie prend forme en Amérique » et elle « menace concrètement notre démocratie tout entière, nos droits et libertés élémentaires », a mis en garde le président sortant, appelant à faire « rendre des comptes » aux réseaux sociaux et mettre en place des « garde-fous » sur l’intelligence artificielle.
On peut évidemment pointer la responsabilité de M. Biden dans la situation actuelle, lui qui, durant tout son mandat, n’a pratiquement rien fait contre « l’avalanche de désinformation qui permet l’abus de pouvoir », mais cette mise en garde contre l’apparition d’un « complexe technologico-industriel » sonne comme un puissant rappel de celui qu’avait émis un autre président américain, Dwight Eisenhower, en 1961, contre la montée en puissance du « complexe militaro-industriel ». Pour l’Afrique, l’enjeu immédiat, c’est une fracture algorithmique qui s’ajoute à celle numérique. Demandez à l’IA de vous proposer une recette de « ngurban », ce succulent plat sérère, il se trouvera à court… de données. L’insuffisance de données fait que l’Afrique ne profite pas pleinement de cette révolution technologique. Pourtant, c’est une fenêtre historique qui s’ouvre, permettant aux pays africains de faire un saut qualitatif, s’ils investissent dans la technologie.