En Afrique, il n’est pas de bon ton de parler d’héritage alors que l’ascendant est encore en vie. Question de bienséance, de pudeur, de moral. Et même après qu’il a passé l’arme à gauche, c’est avec toute la solennité requise, en respect à la mémoire du défunt, que le partage des biens est fait. Du moins, en principe, parce qu’il est des cas où ça part en vrille entre les membres de la famille.
Pour le cas qui nous intéresse ici et qui met en scène Barthélémy Dias et le Comité d’organisation des Jeux olympiques de la jeunesse (Cojoj), le point de non-retour n’a pas encore été atteint, mais la question de « l’héritage » des Joj divise déjà. Et pourtant, cet événement planétaire qui se tient pour la première fois en Afrique, n’aura lieu que dans…21 mois. Après avoir lancé la première salve, le ci-devant maire de Dakar est revenu à la charge pour répondre au Cojoj qui avait tenu à mettre les points sur les «i».
Cette passe d’armes cache pourtant l’essentiel: l’organisation et la préparation des athlètes. Où en est le Sénégal? Parce que s’il est labellisé «Dakar», c’est le Sénégal qui organise et, d’ailleurs, la ville de Dakar à elle seule ne reçoit pas toutes les compétitions. Comme avec les Jo de Paris, d’autres villes accueilleront presque autant d’épreuves que la capitale : Diamniadio et Saly. Leurs maires vont-ils eux aussi demander leur part d’un héritage pas encore à point ? L’héritage attendu des Joj ne se mesure pas à l’aune du magot que telle ou telle entité va obtenir ou de quelles infrastructures telle ou telle ville va bénéficier.
Dès le début, au moment du choix porté sur le Sénégal devant le Nigéria, le Botswana et la Tunisie, le dossier de candidature sénégalais avait identifié toutes les infrastructures qui devaient être réhabilitées afin d’accueillir les compétitions. Parce qu’il s’agit bien de cela: réhabilitation de l’existant et non-réalisation de nouvelles infrastructures. D’ailleurs, c’est l’une des conditions pour obtenir l’organisation des Joj. Le Comité olympique international est clair là-dessus: «Aucune nouvelle installation permanente ne devra être construite dans le seul but d’accueillir les Joj».
A Paris, aucune infrastructure sportive structurante n’a été construite. L’idée est d’éviter ce qui s’est passé à Athènes et à Rio: des infrastructures devenues masures après avoir englouti des milliards de dollars pour les Jo de 2004 et de 2016. Dans l’idéal et conformément aux valeurs de l’olympisme, le seul héritage qui mérite d’être visé reste la bonne organisation de cet événement et les médailles qui seront récoltées par les athlètes sénégalais. Il n’y a que cela qui restera dans l’imaginaire collectif, qui résistera à l’usure du temps et à l’oubli. Trente-sept ans après, on parle toujours de la médaille d’argent de Amadou Dia Ba à Séoul ; quatre-vingt-neuf ans après, on se pâme encore d’admiration devant les performances de Jesse Owens aux Olympiades de Berlin et moins du stade témoin de ses exploits. On comprend par-là que l’héritage a un impact plus immatériel que matériel. D’ailleurs, le Cio, dans ses textes sur la vision et les principes liés aux Joj, insiste sur ce qu’il entend par «héritage olympique». L’idée est, sur le long terme, d’installer dans les pratiques quotidiennes «un mode de vie plus sain et une meilleure forme physique», de multiplier le nombre de licenciés dans les clubs tous sports confondus, «de développer les compétences chez les jeunes»…
Pour ces Joj 2026, la crédibilité du Sénégal est en jeu. Ce n’est pas pour rien que le Président de la République et le Premier ministre en parlent régulièrement en Conseil des ministres. Preuve que c’est assez sérieux pour souffrir des états d’âmes d’untel ou tel. Un zéro pointé au niveau des médailles et dans l’organisation reste le seul héritage à éviter.
Par Elhadji Ibrahima THIAM