Encore une réflexion sur l’intelligence artificielle ! Aucun domaine au monde ne provoque tant de façons de le voir, de le traiter, de le commenter ou de l’analyser. Alors qu’elle n’intéressait au début que quelques marginaux perdus dans nos hautes sphères, l’intelligence artificielle s’est rapidement démocratisée. Devenant une affaire de tous. Envahissant tous les secteurs. Remodelant nos modes de vie. Omnipotente. Omnisciente. Dictant sa loi partout et à tout le monde, promettant monts et merveilles.
Dans tous les pays, des experts multiplient sommets, rencontres et plateaux de télévisons pour sonner la mobilisation et appeler dirigeants publics et chefs d’entreprises à investir massivement dans « l’incontournable » bulle technologique. Et c’est à juste titre que le sommet de Paris sur l’intelligence artificielle, ouvert le 10 février dernier, a été dénommé « Sommet pour l’action ». Sous la verrière du Grand Palais de Paris, de nombreux chefs d’État, des scientifiques et des entrepreneurs de la tech – dont les pontes Sam Altman, patron d’OpenAI, et Sundar Pichai, PDG de Google, s’étaient donné rendez-vous, se bousculant pour encore et toujours s’inscrire et emballer le monde dans cette folle course technologique.
Le message d’Emmanuel Macron était très clair : réveiller la France et l’Europe qui accusent un retard considérable dans l’économie numérique globale. Lançant ainsi la course aux financements. Les Européens promettent de surinvestir. Les Chinois font de même. Une course à l’allure d’un serpent « très venimeux » qui nous mènera vers le chaos et conduira indiscutablement le monde dans ce que l’écrivain et philosophe francais Eric Sadin appelle « une humanité toujours plus absente d’elle-même ». Eric Sadin ? C’est lui et le journaliste Eric Barbier, référent IA générative au sein du Syndicat national des journalistes francais qui ont eu justement la belle et prometteuse idée d’organiser, au Théâtre de la Concorde, un contre-sommet baptisé « Pour un humanisme de notre temps ».
Contre-manifestation sur l’IA qui a enregistré un succès éclatant. En effet, plus que de partager des souffrances, la rencontre a permis à des angoisses de s’exprimer. Des comédiens y avaient pris la parole pour dire qu’avec des IA génératives, d’ici deux ans, ils vont avoir la tête coupée. Des journalistes ont fait savoir que, très bientôt, les secrétaires de rédaction vont être des IA génératives. Des traducteurs ont également profité de cette merveilleuse tribune pour raconter comment de plus en plus des éditeurs demandent pour la traduction du théâtre, à des robots de faire le job à leur place. D’autres métiers dans l’administration ont attiré l’attention sur les conséquences désastreuses de l’IA devenue une gigantesque machine à broyer des vocations et des rêves.
Des pertes sèches d’emplois et un préoccupant et historique tournant intellectuel. On dévolue désormais à des systèmes la tâche d’assurer des fonctions qui jusqu’ici mobilisaient nos facultés intellectuelles et créatives les plus fondamentales : celles d’écrire, de parler, de produire des images et du son. « Quel sera notre rôle sur terre d’ici quelques années ? Que signifie un monde ou une société qui nous fait rêver si on doit tous se mettre devant des écrans. Un monde où nos enfants ne vont plus apprendre à écrire parce qu’ils ne verront plus la nécessité d’aller à l’école ? », s’interroge, à juste titre, Eric Sadin qui nous demande de renouer urgemment avec les principes fondamentaux qui sont les nôtres : la liberté, l’intégrité de la dignité humaine (humains réduits à des robots), l’exercice de notre inventivité, de notre créativité, l’impératif de la sociabilité humaine (Les technologies favorisent un isolement collectif) et la préservation de la biosphère.
Ce n’est plus un secret et le philosophe Sadin le rappelle brillamment : ce sont des machines à bruler la planète dans lesquelles nous sommes en train d’investir. Donc arrêtons ce suivisme technologique. Mobilisons-nous. Multiplions ce genre de contre-sommets. Agissons maintenant. Avant que l’IA générative et sa puissance extrême ne se consolident et deviennent irréversibles.
abdoulaye.diallo@lesoleil.sn