La décision de l’administration Trump de couper les subventions à l’université Columbia marque un tournant pour la liberté académique aux États-Unis. Pour certains analystes, c’est la fin d’un cycle qui a commencé au XIIIe siècle en Allemagne.
En ciblant en premier l’université privée new-yorkaise, épicentre des manifestations pro-palestiniennes au printemps 2024, qu’il accuse d’inaction face « à des actes antisémites », le président américain envoie un message politique limpide. C’est un nouvel exemple de la politisation de l’enseignement supérieur et de l’ingérence du gouvernement, qui entravent la liberté académique et l’autonomie institutionnelle. Trump ne s’est pas limité à la suppression des aides fédérales aux universités : il a aussi signé un décret supprimant le ministère de l’Éducation. Ces décisions s’inscrivent dans le contexte de la guerre culturelle aux États-Unis. Désormais, toute opposition au discours dominant est accusée de wokisme. Ainsi, ces universités sont accusées d’être des repères de wokistes visant à travestir l’histoire et la culture américaines.
Le problème, dans cette guerre des tranchées qui ressemble beaucoup à une guerre des mots, c’est que personne ne sait précisément ce que signifie le wokisme ; et il n’est pas sûr que les adversaires, pour ne pas dire les ennemis, mettent la même signification derrière ce mot. Le wokisme, qui signifiait à l’origine « être vigilant face à toutes les inégalités, les racismes… », est devenu progressivement un identitarisme, un enfermement dans des identités. Trump veut ainsi utiliser l’argent des subventions fédérales destinées à la recherche, en particulier la recherche médicale et scientifique, pour aligner les universités et leur faire adopter sa politique en matière de liberté académique, de diversité et d’inclusion. De l’avis de nombreux universitaires, cela va totalement transformer le paysage de la recherche et de l’enseignement.
La décision de Trump soulève donc de sérieuses inquiétudes quant à la liberté académique et aux droits garantis par le premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté d’expression. Face à cette situation, des pays comme la France ont proposé d’accueillir des chercheurs américains qui ne se reconnaissent pas dans cette politique. C’est clairement un tournant majeur si l’on connaît le rôle des universités dans le rayonnement de l’Amérique. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont accueilli des milliers de savants européens, notamment juifs, qui fuyaient le nazisme. Ces chercheurs, dont Einstein, ont considérablement contribué au progrès scientifique des États-Unis et à en faire la première puissance mondiale. Jusqu’à aujourd’hui, l’Amérique continue d’attirer les meilleurs cerveaux du monde, séduits par de meilleures conditions de travail, mais aussi et surtout par la garantie d’une liberté académique.
Pour combien de temps encore ? Si l’on remonte dans le temps, l’âge d’or du monde musulman (VIIIe-XIe siècle) coïncide avec une période où les savants bénéficiaient d’une plus grande liberté. Durant cette période, les musulmans ont apporté des contributions substantielles aux mathématiques, à l’optique, à la médecine et à la philosophie. Comme l’a montré l’universitaire turc vivant aux États-Unis, Ahmed T. Kuru, dans son ouvrage Islam, autoritarisme et sous-développement : Une comparaison globale et historique (Cambridge University, 2019), cet âge d’or présente deux caractéristiques : la séparation entre les savants et l’État (garantissant ainsi la liberté académique) et la coopération avec les non-musulmans.
Les musulmans ont ainsi pu s’inspirer des Grecs, des Perses et des Indiens et travaillaient avec les chrétiens, les juifs et d’autres non-musulmans au développement des sciences et des économies. Pour donner une idée de la domination intellectuelle musulmane à l’époque, à la fin du Xe siècle, le calife fatimide Al-Aziz possédait une bibliothèque au Caire avec une collection estimée entre 200 000 et plus d’un million d’ouvrages. En comparaison, les monastères et les bibliothèques d’Europe occidentale entre le IXe et le XIe siècle possédaient généralement moins de 500 livres. En définitive, hier comme aujourd’hui, il existe une corrélation directe entre liberté académique et progrès scientifique, technologique ou économique. seydou.ka@lesoleil.sn