Notre époque présente une similitude troublante avec l’entre-deux-guerres. À nouveau la haine semble l’emporter sur l’amour et les relations entre nations sont marquées par une compétition exacerbée, la course aux armements, la brutalité et la loi du plus fort.
Autre similitude, l’Onu, comme son ancêtre, la Société des nations (Sdn), est devenue impuissante, échouant à prévenir et résoudre les conflits. De Gaza à l’Ukraine en passant par le Soudan et la Rdc, on assiste à une violation massive des droits de l’Homme, le tout dans un silence total. Pendant ce temps, les grandes puissances bandent les muscles et affûtent leurs armes. Comme des somnambules, on se dirige à nouveau vers le précipice. Sans un sursaut, l’Onu subira le même sort que la Sdn. Pourtant, cette organisation, pour reprendre le propos de Henri Bergson à propos de la Sdn, s’est composée « lentement, piteusement, avec des souvenirs et des espérances, avec de la poésie et de l’amour, avec un peu de toutes beautés morales qui sont sous le ciel ».
L’humanité est-elle alors condamnée au mal et à subir l’instinct de guerre que recouvre la civilisation ? Pas forcément. À condition de retrouver l’élan d’amour qui, à en croire le philosophe français, est immanent à la nature humaine. Pour penser la question de l’origine de l’immoralité à la base de toutes les guerres, Bergson expose dans son dernier ouvrage de 1932 « Les Deux Sources de la morale et de la religion », sa morale fondée sur l’amour universel, « l’humanité divine ». « À la force qui ne se nourrit que de la brutalité, nous opposons celle qui va chercher en dehors d’elle, au-dessus d’elle, un principe de vie et de renouvellement », écrit-il dans le Bulletin des armées de la République en 1914. Autrement dit, opposer à la force matérielle, la force morale découlant du principe de vie, l’amour, pour sauver l’humanité. Si Bergson, un des pères de la Sdn, a consacré la fin de sa vie à la paix, Platon a été le premier philosophe pacifiste.
Comme le relate Djibril Samb dans son ouvrage « Chemins platoniciens », l’idéal de paix est au cœur du livre I des Lois, ouvrage dans lequel Platon nous dit que, pour une cité, l’idéal c’est de bien vivre en paix et de n’avoir à recourir à la guerre – faire cesser celle-ci, le cas échéant, n’étant qu’une nécessité. Aussi Platon ne veut-il même pas d’une « paix armée », fausse paix, dangereuse paix, parce que garantie non pas par la vertu, mais par la force des armes. Ce puissant message du grand Athénien a une résonnance particulière avec notre époque où la paix est censée être garantie par la dissuasion nucléaire. Si cette dissuasion semble, pour le moment, fonctionner entre puissances nucléaires, elle ne garantit pas la paix puisque, à la lumière de la guerre en Ukraine, les pays non dotés ne sont pas à l’abri et cherchent donc, légitimement, à acquérir l’arme nucléaire. En Europe, l’idée d’un parapluie nucléaire français fait son chemin, en Asie la Chine dope son budget défense et au Proche-Orient le duo États-Unis-Israël multiplie les menaces contre l’Iran.
On sait que, hélas, les victimes d’aujourd’hui seront les bourreaux de demain. Bref, toutes les nations se réarment et on assiste à une montée des tensions géopolitiques. « Je suis infiniment triste et en colère que le tabou nucléaire soit menacé d’être brisé », avait affirmé Terumi Tanaka, 92 ans, co-présidant de l’association japonaise des survivants de la bombe atomique, Nihon Hidankyo. Le monde ferait bien d’écouter ces « hibakusha » (survivants des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki), les seuls à avoir expérimenté dans leur chair les terribles conséquences de l’arme nucléaire. En 2017, 122 gouvernements avaient négocié et adopté le traité historique sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) à l’Onu, mais la portée de ce texte est essentiellement symbolique puisqu’aucune puissance nucléaire ne l’a signé. Et l’Afrique dans tout cela ? Dépourvu de l’arme nucléaire, le continent n’a jamais menacé la paix mondiale, même si on peut regretter les guerres fratricides dans certains de ses États. Mais en tant que victime de la plus grande injustice de l’histoire (la traite négrière et la colonisation), l’Afrique pourrait apporter au monde un message de paix et de pardon pour le salut de l’humanité. seydou.ka@lesoleil.sn