Ce dimanche, il est 19 h 47 sur l’horloge du salon familial. La nuit prend inéluctablement possession du jour. Dans ce crépuscule annonçant le zénith d’une nuit, se joue un match quelque part, loin mais assez près pour occuper les conversations.
Le téléphone vibre. « Alors, qui mène ? », me lance un ami au bout du fil. « Zéro partout, mais les Parisiens ne se sont pas trop bousculés par les Lillois, un peu amorphes », je réponds, l’œil distrait par l’écran. « Pourtant, Paris a intérêt à marquer, parce que Ethan Mbappé sera buteur », rétorque-t-il dans un éclat de rire. « Et pourquoi donc ? », interroge-je.
« Depuis le début du week-end, c’est une loi : Declan Rice (Arsenal) a marqué contre son ancienne équipe, West Ham ; Sofiane Diop (Nice) a planté un doublé contre Monaco, son ancien club ; Alexis Sanchez (FC Seville) a trouvé la faille contre Barcelone, son ancienne maison. Donc, forcément, Ethan Mbappé (Lille) va marquer contre le PSG, son ancienne maison ». Je ris. Une « loi » pareille tient plus de la superstition de comptoir que de la tactique footballistique. On raccroche. 20 h 28.
Le commentateur s’enflamme : Ethan Mbappé égalise pour Lille, quelques minutes après l’ouverture du score par les Parisiens. Je saisis mon téléphone et envoie un message à mon ami : « Incroyable… Mbappé vient de marquer ». Il y a des coïncidences qui prêtent à sourire, d’autres qui font douter. Celle-ci navigue entre les deux. C’est la loi des séries. Cette expression renvoie à l’idée que les événements ont tendance à se produire en groupe ou en succession rapprochée.
Souvent utilisée dans un contexte malheureux, elle ne désigne pas une loi scientifique au sens strict. Il s’agit plutôt d’un concept à la croisée des croyances populaires, de la psychologie et des probabilités. En juin 2009, par exemple, on parle régulièrement de la mort « par trois » de célébrités.
Entre le 23 et le 25 juin, disparaissent successivement Ed McMahon, Farrah Fawcett et Michael Jackson. Hasard ou loi ? C’est de là que la croyance s’est ancrée. Il en va de même pour certains accidents d’avion rapprochés : en 2014, le 17 juillet, le vol MH17 de Malaysia Airlines est abattu au-dessus de l’Ukraine ; le 23 juillet, un avion d’une compagnie taïwanaise s’écrase ; et le lendemain, un avion d’Air Algérie s’abîme au Mali.
La politique n’y échappe pas. Sur notre continent, une succession de coups d’État a marqué les dernières années : Mali (2020 et 2021), Guinée (2021), Burkina Faso (2022), Niger (2023) et une tentative au Gabon (2023). La fameuse loi des séries, aussi vieille que le monde, ne concerne pas que les grands événements. Elle traverse également nos vies quotidiennes. Fin mai 2022, onze bébés meurent dans un incendie à l’hôpital de Tivaouane.
Quelques semaines plus tôt, le destin tragique d’Astou Sokhna, décédée avec son bébé par manque de soins à l’hôpital de Louga, avait bouleversé le pays. Ces drames faisaient suite à la mort de quatre nouveau-nés dans l’incendie du service de néonatalogie de l’hôpital de Linguère en avril 2021. La loi des séries n’a jamais été autant associée à l’expression wolof « Djikk djiguène ». « En tant que fille, il m’arrive souvent d’avoir mes menstrues quand quelqu’un dans mon entourage annonce qu’elle est en train de les avoir.
Est-ce une forme de loi des séries ? », m’interpelle-t-on dans la rédaction digitale du Soleil. Vrai ou pas, le statisticien Warren Weaver a popularisé l’idée selon laquelle ce que nous percevons comme une « loi des séries » n’est souvent qu’un effet normal du hasard.
Bob Marley, lui, n’aurait sans doute pas été d’accord avec le cartésianisme de Weaver. Dans Natural Mystic, il chantait : « If you listen carefully now you will hear » — si tu tends bien l’oreille, tu entendras la mystique naturelle.
moussadiop@lesoleil.sn